L'Ennemi américainGénéalogie de l'antiaméricanisme français : de Philippe Roger
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L’Ennemi américainGénéalogie de l’antiaméricanisme français : de Philippe Roger

Anti-américain ou pro-américain: être du premier parti, c’est se mettre du bon côté de la clôture. Après tout, on peut mettre sur le dos des Américains à peu près tous les maux de la Terre. Leur camp est celui des exploiteurs, des pollueurs, des preachers hallucinés et des flingueurs en furie! On serait, par définition, anti-américain à gauche, et pro- à  droite.

Anti-américain ou pro-américain: être du premier parti, c’est se mettre du bon côté de la clôture. Après tout, on peut mettre sur le dos des Américains à peu près tous les maux de la Terre. Leur camp est celui des exploiteurs, des pollueurs, des preachers hallucinés et des flingueurs en furie! On serait, par définition, anti-américain à gauche, et pro- à droite.

Sauf que, comme nous l’apprend L’Ennemi américain, de Philippe Roger, lorsqu’on entreprend de faire, ainsi que le décrit le sous-titre du livre, une Généalogie de l’antiaméricanisme français, de se pencher sur les multiples manifestations de cette idéologie à travers les âges, on découvre que l’antiaméricanisme est quelque chose de politiquement ambidextre: on l’est autant à gauche qu’à droite, et fondamentalement pour les mêmes raisons!

L’Ennemi américain est un ouvrage qui se distingue favorablement de la pléthore de publications qui ont vu le jour depuis le 11 septembre. Le bouquin était alors déjà en chantier, et il déborde du seul horizon de l’actualité. Il nous fait réaliser qu’on serait en droit "de supposer l’antiaméricanisme dérivé de la notion d’"américanisme"". Mais il s’avère que "ce faux antonyme ne lui doit rien, ni historiquement, ni logiquement. En France, l’existence de l’antiaméricanisme précède l’essence de l’Amérique telle que "l’américanisme" reste impuissant à la capturer". L’antiaméricanisme à la française est une forme de racisme: on est anti-américain avant même de chercher à savoir ce qu’est l’Amérique!

L’Ennemi américain fait l’histoire des âneries que des Français ont pu écrire sur les États-Unis depuis l’époque de la révolution américaine jusqu’à nos jours. On y découvre que le verbe "américaniser" est apparu pour la première fois sous la plume de Baudelaire. Que les visiteurs français du début du 20e siècle trouvaient que les femmes états-uniennes étaient froides, voire intrinsèquement frigides: elles n’acceptaient pas de flirter avec eux! Les communistes de l’après-guerre voyaient le Frigidaire comme l’incarnation du capitalisme le plus aliénant: "[…] "dans un pays comme la France, où, sauf deux mois par an et pas toutes les années, il fait toujours tellement froid qu’il suffit d’un garde-manger placé sur la fenêtre pour garder jusqu’au lundi, mardi ou mercredi, les restes du gigot du dimanche", le réfrigérateur ostentatoire, essentiellement destiné à pourvoir de glaçons les breuvages yankees, n’est qu’un "symbole" ou plutôt une "mystification" dont le désir artificiellement suscité aggrave l’aliénation du travailleur."

Les exemples de bêtises accumulés au fil des 500 et quelques pages de l’ouvrage dévoilent que même chez les auteurs les plus sérieux et les plus renseignés, l’image que les Français se sont faite des États-Unis au fil des décennies, et celle qu’ils continuent à s’en faire de nos jours, ressemble généralement au portrait qu’en propose Hergé dans Tintin en Amérique. Elle est constituée d’un ramassis de clichés qui, "parlant de l’Amérique […] ne cesse[nt] de parler de la France". Elle sert de repoussoir, de faire-valoir à une culture imbue de sa propre supériorité.

L’Ennemi américain est, en fin de compte, une sorte de sottisier historique d’un certain esprit français: un ouvrage que devraient lire ceux et celles qui s’obstinent à croire que les Québécois sont des Français d’Amérique. Éd. du Seuil, coll. La Couleur des idées, 2002, 602 p.

L'Ennemi américain,Généalogie de l'antiaméricanisme français
L’Ennemi américain,Généalogie de l’antiaméricanisme français
Philippe Roger