Patrick Raynal : Mon oncle d'Amérique
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Patrick Raynal : Mon oncle d’Amérique

Personnalité phare du roman noir français, Patrick Raynal était présent au Salon du livre qui vient de se terminer. Nous avons rencontré cet homme pour qui l’Amérique reste un territoire inspirant.

Pour qui s’intéresse assez au journalisme littéraire et cultive un penchant pour le roman noir, Patrick Raynal est une sorte de modèle grandeur nature. Avant d’être romancier, puis scénariste (Le Poulpe, Arrêt d’urgence), avant d’être nommé, en 1991, à la direction de la Série Noire chez Gallimard, succédant à Robert Soulat, l’auteur de Fenêtre sur femmes et de Né de fils inconnu signait, dans Télérama, puis dans Le Monde des livres, des portraits d’écrivains qui sont de véritables morceaux d’anthologie.

Des textes qui relataient des rencontres inoubliables, de vraies histoires pleines de cet enthousiasme hautement contagieux qui le suit et l’entoure comme une aura, encore aujourd’hui, dès que l’on aborde son sujet de prédilection: le roman américain, de Raymond Chandler à Horace McCoy, de Russell Bank à Don De Lillo, de James Crumly à Jim Harrisson, en passant par Larry Brown, dont il vient de faire traduire Fay, un cinquième titre, pour la collection qu’il dirige ("un livre magnifique, sublime, SU-BLI-ME!").

Il n’y a pas à dire, Patrick Raynal a la passion heureuse, l’amour exubérant, et on n’a aucun mal à l’imaginer, enfant, extatique, découvrant l’Amérique dans les Série Noire que collectionnait sa mère. Entre ces auteurs américains et lui, il y a plus que des affinités, il y a presque une filiation, une parenté; on jurerait que dans une autre vie, Raynal s’est fait des muscles sur un ranch du Montana, une ferme du Michigan, ou dans un de ces petits villages du Vermont enneigés six mois par année.

Passé imparfait
Seulement voilà: les caprices du destin ont voulu que l’homme naisse à Paris, en 1946, qu’il grandisse à Nice, et qu’il ait 20 ans en mai 68. C’est donc le cheval de bataille du marxisme-léninisme qu’il a enfourché à cette époque, de concert avec ses meilleurs copains, avant de joindre le bureau niçois de son père. "J’ai vendu de l’assurance pendant 18 ans!"

Dans Ex, l’homme se rappelle ses 20 ans, et fond ses souvenirs pour en faire une histoire mi-inventée, mi-autobiographique. Ex raconte ses années de militantisme, le clan des sept dont il était membre, qui formait "le noyau dur du Parti marxiste-léniniste qui (allait) faire triompher la Révolution en France". Quand le roman s’ouvre, nous sommes en 2001. Le narrateur, Joseph Padelec, alias Jo Randa ("pas Djo, juste Jo comme dans Joseph"), est devenu gardien de phare dans le sud de la Bretagne, dans un de ces coins "où on prend plus facilement son bateau que sa bagnole". Un jour, Pons, l’ancien chef de son groupuscule, surgit du passé comme un fantôme, des cadeaux plein les poches. Atteint d’une maladie incurable, l’ex-gauchiste devenu conseiller de Chirac veut payer sa dette à ses amis qui lui ont jadis sauvé la vie. L’homme a gardé, puis fait fructifier "le trésor de guerre de la révolution perdue", et il voudrait bien que Padelec parte à la recherche des autres membres pour leur remettre leur part du butin. Un voyage qui le mènera aux quatre coins de la planète, où il découvrira ce que sont ses amis devenus, l’un dans les assurances, l’autre cuisinier, l’autre écrivain de polars…

"Je voulais raconter cette histoire depuis longtemps, avance Raynal, mais je n’y arrivais pas. Ce qui s’est passé le 11 septembre a été le véritable déclencheur. Je me suis demandé jusqu’où nous aurions pu aller si les flics n’avaient pas mis fin à la fête. Je n’ai jamais su à quel point nous étions proches du chaos, dira le narrateur, mais cette idée m’a toujours hanté."

Blanc polar
Si Ex n’est pas à proprement parler un polar, il en a le ton, le rythme, le style.

"J’ai voulu faire un roman blanc qui utiliserait toutes les techniques du roman policier, explique Raynal." Et toute la saveur du style Raynal y est restée, cet humour qui chatouille comme un rire de gorge, cette ironie qui lui est "aussi utile que le stylo pour écrire", et qui lui donne suffisamment de distance pour "éviter le pathos". Cet humour qui n’est pas sans rappeler Pennac et Benacquista (des auteurs lancés par la Série Noire) viendrait tout droit, selon Raynal, "de l’adaptation française du roman noir américain", de ces "romans policiers mouvementés", comme les appelait Marcel Duhamel, le fondateur de la Série Noire, où dominait toujours l’humour.

Ces auteurs – les Burnett, Chase, McCoy, Cheney, Cain -, Raynal leur doit énormément. "Avant de découvrir le roman noir américain, je commençais des livres que je n’arrivais jamais à terminer. J’avais du mal à construire une histoire, c’était emmerdant, postmoderne, enfin… Puis, brusquement, j’ai découvert cette littérature et je me suis dit: "c’est ça que j’ai envie de dire, c’est ce monde que j’ai envie de raconter, et j’ai envie de le raconter comme eux"." Raynal avoue se sentir loin des romans intimistes… "Je suis souvent exaspéré par la littérature française, et je suis bien conscient qu’en France, on me regarde un peu de travers. Mais ce que j’aime, ce sont ces auteurs qui sont tout entiers tournés vers le monde, les Russel Bank, Don De Lillo, Cormac McCarthy, pour qui j’ai une passion, et je le dis, de façon bien immodeste, ce sont eux, ma famille."

Et c’est à eux, encore, qu’il réserve ses futurs projets: une série, pour la télévision, de rencontres d’auteurs américains qu’il interrogera sur l’après-11 septembre, et peut-être bien un recueil réunissant ses inoubliables portraits d’écrivains.

Ex, de Patrick Raynal
Éd. Denoël, 2002, 270 p.

Ex
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