Ponge en Pléiade : par Francis Ponge

La Bibliothèque de la Pléiade est la collection la plus prestigieuse de toute la francophonie. Le fait d’"entrer dans la Pléiade" fait aussitôt d’un auteur un classique.

La réputation de la collection tient d’abord à la qualité matérielle de ses publications: ces ouvrages sont rien de moins que les mieux imprimés et fabriqués qui soient! Du même format qu’un livre de poche, ils sont reliés plein cuir. Chaque titre compte un bon millier de pages ou plus; pourtant, grâce à l’emploi d’un papier très mince mais robuste, on a dans les mains un bouquin d’un maniement et d’une lecture des plus agréables.

Évidemment, le prix est à l’avenant: un Pléiade coûte une centaine de dollars. Chaque volume renferme tout de même l’équivalent de quatre à cinq romans, alors on fait ses frais!

Le succès de la collection tient aussi à une autre raison: le soin concernant l’établissement des textes. Accompagnée de notes et de commentaires, chaque parution est le fruit du travail des plus grands spécialistes de l’auteur, et l’édition Pléiade de ses oeuvres devient généralement la version de référence.

Les Ouvres complètes de Francis Ponge (1899-1988), dont vient de paraître le deuxième et dernier volume, est un exemple particulièrement remarquable de ce que la Pléiade fait de mieux. Et la publication vaut également d’être signalée parce qu’elle est le résultat d’un travail orchestré à partir de Montréal! Elle a été réalisée sous la direction de Bernard Beugnot, de l’Université de Montréal, qui s’est entouré d’un équipe franco-québécoise au sein de laquelle figurent deux spécialistes montréalais, Jacinthe Martel et Robert Melançon. La publication de ces Ouvres complètes de Francis Ponge est l’aboutissement de 10 années de travail en partie subventionné par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

"Probablement, tout et tous – et nous-mêmes – ne sommes-nous que des rêves immédiats de la divine Matière", écrit Francis Ponge. Ses textes portent des titres comme Le Parti pris des choses, Le Savon, ou "La serviette-éponge"! Mêlant prose et poésie (l’auteur identifie nombre de ses écrits comme des "proêmes"), Ponge est un orfèvre de la langue française qui n’a cessé de décrire les menus objets du quotidien: "Il y a d’une part vous, hommes, avec vos civilisations, vos journaux, vos artistes, vos poètes, vos passions, sentiments, enfin tout le monde humain de plus en plus révoltant, invivable (injugeable). / Et d’autre part nous, le reste: les muets, la nature muette, les campagnes, les mers et tous les objets et les animaux et les végétaux. Pas mal de choses, on le voit. Enfin tout le reste. / C’est cette seconde partie parfaitement en dehors des hommes, qu’il est de ma raison d’être de représenter, à quoi je donne la voix. / Que je voudrais […] faire parler aussi haut que les hommes."

En plus de regrouper tous les ouvrages que l’auteur a fait paraître de son vivant, cette Pléiade Ponge nous plonge dans l’immense amas de brouillons que le poète a conservé. Ces esquisses étaient, à ses yeux, aussi significatives que les versions "finales" de ses textes.

Plus qu’une simple compilation définitive des écrits de Francis Ponge, ces Ouvres complètes dévoilent toute la portée de ce que l’auteur appelait lui-même "l’inachèvement perpétuel" de ses "pratiques d’écriture". Un superbe Pléiade, dont la valeur tient autant à celle de l’oeuvre de Ponge qu’à la qualité du travail de Bernard Beugnot et de ses collaborateurs. Ed. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 2002, lxxviii-1843 p.