Bouscotte, L’Amnésie globale transitoire : de Victor-Lévy Beaulieu
Contre tous les petits princes en liberté dans la sphère de la littérature qui essaient de nous faire croire qu’un bon roman n’est pas plus perturbant que la rencontre d’un lampadaire, d’une rose et d’un mouton, il y a Victor-Lévy Beaulieu.
Contre tous les petits princes en liberté dans la sphère de la littérature qui essaient de nous faire croire qu’un bon roman n’est pas plus perturbant que la rencontre d’un lampadaire, d’une rose et d’un mouton, il y a Victor-Lévy Beaulieu.
Merci à la grande gueule. Merci au "fatiquant" qui veut encore parler d’indépendance quand le reste du monde n’en a plus rien à foutre. Qui chiale contre les bien-pensants en tout genre. Qui fait dire à l’un de ses personnages que René Lévesque ne fut que la "marionnette" de Claude Morin, que Jean Charest n’a "aucune certitude sinon celle de profiter un jour du pouvoir pour défaire ce peu que malgré eux les péquistes auront réussi à accomplir", tandis que Lucien Bouchard se fait traiter de "petit avocat de l’arrière-pays qui a vendu son âme au diable des multinationales américaines, filou de corps et d’esprit, admirateur des oeuvres de Pierre Elliott Trudeau au point d’en pisser dans sa culotte rien qu’à l’idée de pouvoir lui serrer la main".
Si ces perles tirées du troisième et dernier tome de Bouscotte (L’Amnésie globale transitoire), fraîchement sorti des Éditions Trois-Pistoles, peuvent contribuer à une lecture vivifiante, c’est en marge de ses éructations politiques que VLB est le plus fascinant. C’est quand il parle laid, quand il parle beau, quand il se laisse happer, que dis-je, quand il s’élance à mille milles à l’heure, sans freins et sans casque protecteur, dans la puanteur ou la magie de la vie, que VLB nous entraîne à fond dans son univers. Depuis la naissance du premier Beauchemin et du premier Bérubé, il faut dire qu’il a eu l’occasion de sonder plus souvent qu’à son tour les méandres de la nature humaine.
Les quelque 1500 pages qui constituent la saga romanesque de Bouscotte ayant été écrites après la série, les téléspectateurs qui l’ont suivie par millions au petit écran ne doivent pas s’attendre à de la copie conforme. D’ailleurs, on aurait du mal à imaginer que les personnages aient pu transmettre à la télé la violence et la folie dont les parent dans ses romans les mots de VLB.
Quand s’ouvre ce dernier tome de Bouscotte, Charles Beauchemin (le papa de Bouscotte) s’apprête à épouser Léonie Bérubé: union qui paraît forcément insensée aux yeux de la plupart des membres de ces familles depuis toujours ennemies. Elle l’est. Car Léonie la Malécite se promet bien, avec l’aide de Manu Morency, d’éliminer le clan Beauchemin, responsable à ses yeux de la disparition de son peuple. En attendant que se dévoilent toutes les cruelles manigances du duo infernal, le lecteur suit la trace des personnages qui gravitent autour d’eux: les Bouscotte, le Kouaque, Eugénie, Obéline, Antoine, Philippe, qui exposent l’un après l’autre dans de longs monologues les couleurs de leur existence.
Passant du chant amoureux à l’onirisme scabreux, de l’incantation au discours politique, des mots de Nietzsche à ceux de Julie Payette, Victor-Lévy Beaulieu ratisse de la plus petite cellule à la plus grande – du couple à la famille, à la société, au pays -, laissant le lecteur, au sortir de l’aventure, habité de grogne autant que de poésie. Comme il se doit. Éd. Trois-Pistoles, 2002, 467 p.