Les livres et les Amérindiens : La plume et le papier
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Les livres et les Amérindiens : La plume et le papier

La culture des peuples autochtones qui vivent à nos côtés est largement méconnue. Romans jeunesse, récit, album de photos, bédés: voici un tour d’horizon pour tempérer un peu notre ignorance.

Dans son dernier titre, L’Attrape-rêves (Hurtubise HMH, 2002), la romancière Monique Bosco s’interroge sur le peu d’intérêt porté à la reconnaissance des droits et de la culture des Indiens d’Amérique. Racisme, agacement, sentiment que nulle réparation n’est possible de toute façon? Une chose est certaine: la plupart des non-Indiens d’entre nous sommes coupables à tout le moins d’ignorance. Après Agaguk, les mocassins et la crise d’Oka, que savons-nous des peuples autochtones? Certains oeuvrent heureusement à ce que nous soyons moins bêtes. En voici une poignée, qui ont pris le livre et l’image comme outils.

Sanaaq: le premier roman inuit
On en a parlé en ces pages il y a peu, mais il n’est pas inutile d’y revenir. Alain Stanké a publié cette année, 50 ans après son écriture, le premier roman inuit. Son auteure, Mitiarjuk Nappaaluk, a 20 ans, lorsqu’un missionnaire voulant parfaire sa connaissance de la langue et des us inuits lui demande d’écrire, phonétiquement, des phrases contenant le plus de termes et d’expériences de la vie quotidienne. Cela devient peu à peu une histoire avec des personnages, que Mitiarjuk Nappaaluk abandonne puis reprend au fil des ans, jusqu’à mettre un terme à ce Sanaaq, qui sera d’abord transcrit et publié en 1984, et enfin traduit de l’inuttitut au français par l’anthropologue Bernard Saladin d’Anglure. Nulle place ici pour le verbiage et les fioritures. En 48 épisodes, Sanaaq raconte la vie d’une jeune femme, de sa fille, et d’autres familles inuites, qui chassent pour manger et se vêtir, qui doivent composer avec une nature capricieuse et avec l’arrivée des Blancs sur leur territoire. Plutôt qu’un "roman" comme on les connaît, il s’agit plus sûrement d’un documentaire, parfois assez poétique, sur la culture et la psychologie inuites.

Portraits grandeur nature
Karim Rholem est né au Maroc, qu’il a tôt quitté pour s’installer au Québec en 1985. C’est ici qu’il a décidé de devenir photographe. Mais c’est dans le Grand Nord qu’il a d’abord croqué les portraits les plus fascinants. Sur une période de deux ans, Rholem a vécu dans le Nunavut, partageant la vie quotidienne de familles de cinq communautés inuites, chassant avec elles le caribou, le phoque et l’ours blanc. Il en a tiré une série de 35 photos noir et blanc d’hommes, de femmes et d’enfants inuits, qui sont réunies dans un album de toute beauté intitulé Uvattinnit, Le Peuple du Grand Nord (Stanké, 2001, 88 p.). Faisant un pied de nez à l’anonymat auquel on destine trop souvent les premières nations, Rholem nous donne le nom de chaque personne dont il a tiré la photo, tandis que Betty Kobayashi Issenman, du Musée McCord, décrit les vêtements traditionnels qui ont été portés pour la circonstance.

Indien sans réserve
Michel Noël n’est pas fou des Indiens pour rien. Né de mère blanche et de père algonquin, il a vécu en réserve indienne jusqu’à l’adolescence, avant de se mettre à cumuler les diplômes jusqu’à l’obtention d’un doctorat en ethnologie. Après avoir écrit plusieurs contes amérindiens (Les Papinachois, Hurtubise HMH) et une pièce de théâtre (L’Umiak, VLB), il publie en 1996 un premier roman jeunesse à saveur autobiographique, Pien (Michel Quintin), qui lui vaut le Prix du Gouverneur général. Sa bibliographie compte désormais plus de 50 titres, surtout des romans jeunesse, dont une trilogie pour les ados qui raconte justement les aventures d’un jeune Métis en réserve indienne (Journal d’un bon à rien, Le Coeur sur la braise, Hiver indien). Coordonnateur ministériel aux Affaires autochtones, il est également l’auteur, avec Jean Chaumely, des albums Arts traditionnels des Amérindiens, et Histoires de l’Art des Inuits du Québec (Hurtubise HMH).

Un éditeur tenace
La littérature jeunesse au Québec peut se compter chanceuse d’avoir des éditeurs qui travaillent à diffuser la culture autochtone, comme Hurtubise HMH, et comme Pierre Tisseyre, éditeur d’Immaaluk, quelques jours chez Quara et Kunuk, un album illustré destiné aux enfants dès sept ans. Cela dit, il existe chez nous une maison d’édition entièrement vouée à la reconnaissance des diverses cultures peuplant le Canada, et particulièrement des cultures autochtones. Il s’agit des Éditions du soleil de minuit, qui publient différentes collections de romans et d’albums pour enfants et adolescents, dont plusieurs histoires qui sont écrites conjointement en français et dans une langue autochtone, telle que l’inuttitut, l’atikamekw, ou l’algonquin. Un des titres destinés aux enfants de cinq ans et plus – Albin visite les autochtones – a même été traduit dans les 11 langues autochtones du Québec (une par page). Un record.

Plume de bédéiste
Il est reconnu dans le monde de la bédé comme le passionné des Indiens d’Amérique: le Suisse Derib a écrit et illustré des dizaines d’albums consacrés aux Indiens et qu’on peut trouver aux Éditions du Lombard. Cette année, Le Lombard a réédité plusieurs titres de Derib, dont Pluie d’orage, premier album de la série "Celui qui est né deux fois", paru à l’origine en 1983, et qui raconte l’existence de l’ainsi nommé Pluie d’orage, de la naissance (un soir de pluie, vous l’avez deviné), à l’âge adulte, en passant par sa découverte de la neige, du feu, de la peur, du deuil, et de l’espoir. Voilà une quarantaine de pages, où une très large place est laissée aux dessins – superbes en noir, blanc et en couleurs de terre -, qui racontent une histoire de Far-West avec des Indiens. Mais sans les cow-boys. Il était temps.