Faire l’amour : de Jean-Philippe Toussaint
Sixième roman de l’écrivain belge Jean-Philippe Toussaint (suivant Autoportrait (à l’étranger), un récit de voyage paru en 2000), Faire l’amour raconte en moins de 200 pages denses, magnifiques, la lancinante rupture d’un couple qui ne s’entend plus guère dans la tête, mais encore trop bien dans le corps à corps.
C’est un roman qui s’intitule Faire l’amour. Mais la phrase sur laquelle il s’ouvre prévient que rien ne sera aussi simple. "J’avais fait remplir un flacon d’acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi en permanence, avec l’idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu’un."
L’homme qui parle ainsi partage depuis un peu plus de sept ans la vie d’une certaine Marie, designer de mode de renom, qu’il accompagnera à Tokyo pour le travail, voyage prévu, mais plus tellement désiré, le couple s’en allant clairement à la dérive. D’ailleurs, Marie se demande si ce n’est pas dans ses yeux pleins de larmes que finira justement l’acide chlorhydrique. "Non, je ne crois pas, lui disais-je avec un gentil sourire de dénégation. Non, je ne crois pas, Marie, et, de la main, sans la quitter des yeux, je caressais doucement le galbe du flacon dans la poche de ma veste."
Sixième roman de l’écrivain belge Jean-Philippe Toussaint (suivant Autoportrait (à l’étranger), un récit de voyage paru en 2000), Faire l’amour raconte en moins de 200 pages denses, magnifiques, la lancinante rupture d’un couple qui ne s’entend plus guère dans la tête, mais encore trop bien dans le corps à corps.
Ainsi, lorsque l’homme et Marie se retrouvent dans une chambre d’un grand hôtel de Tokyo, épuisés, couchés dans un désordre de tissus, de peignoirs et de robes de soirée, c’est pour aller au bout de leur désir l’un de l’autre, tordre l’amour jusqu’à la dernière goutte, et peut-être en finir une fois pour toutes. "D’instinct, ma bouche s’était sentie aimantée par sa bouche et l’appel des baisers, mais, au moment même où j’allais poser mes lèvres sur les siennes, je vis que sa bouche était fermée, (…) je vis apparaître très lentement une larme sous le mince rebord noir des lunettes de soie lilas de la Japan Airlines, une larme immobile, à peine formée, qui tremblait tragiquement sur place, indécise, incapable de glisser davantage le long de sa joue, une larme qui, à force de trembler à la frontière du tissu, finit par éclater sur la peau de sa joue dans un silence qui résonna dans mon esprit comme une déflagration."
Ce qui commence par une scène d’amour triste et torride se déplacera alors dehors, dans les rues de Tokyo: lui, chassé de la chambre à trois heures du matin, vêtu d’un t-shirt, d’un pantalon enfilé à la hâte et d’une paire de pantoufles; et bientôt rejoint par elle, vêtue d’une de ses robes de collection en soie, strass, satin et organza. Imaginez une Bette Davis, une Vivien Leigh, se précipitant hors de l’hôtel vêtue d’une robe de 20 000 dollars qu’elle n’a pas pris la peine d’agrafer correctement. Imaginez deux amants déambulant dans une scène qui ne veut pas finir. C’est un dernier pas de deux, dans les paillettes, le froid, la lenteur, et les sanglots. Où résonne sans cesse ce constat, implacable, cruel, cette incontournable fin: "Peu importe qui était dans son tort, personne sans doute. Nous nous aimions, mais nous ne nous supportions plus." Éd. de Minuit, 2002, 179 p.