Brigitte Caron : Sept ans de réflexion
BRIGITTE CARON poursuit sa chronique d’une époque instable, la nôtre, avec Le Temps des amours lucides. Amours, déceptions, couples qui se font et se défont. La vie, quoi…
Comme Francine d’Amour, dont elle admire l’oeuvre et qui lui a déjà enseigné l’art dramatique, Brigitte Caron est issue du milieu du théâtre. C’est sans doute ce qui lui a donné ce sens, trop rare, du dialogue naturel, de la réplique qui coule de source, de la répartie vive et chantante. Depuis Elle meurt à la fin (Page éditeur, 1993), ce délicieux objet littéraire qu’elle signait avec sa comparse Sylvie Bérard, Brigitte Caron s’amuse à écrire des choses graves, comme le mal-être d’une génération qui ne connaîtra peut-être jamais la stabilité, tant financière qu’affective, poursuivant, livre après livre, sa chronique très personnelle d’un siècle qui s’enfuit.
Dans La fin du monde comme si vous y étiez (moi, j’y étais), Brigitte Caron mettait en scène une ribambelle d’amis et d’amies qui cherchaient du boulot, une certaine sécurité, et, bien sûr, l’âme soeur. "On retrouve les mêmes personnages dans Le Temps des amours lucides, explique l’auteure. Ils ont trouvé l’amour, mais tout n’est pas aussi simple qu’ils l’imaginaient, au contraire!"
Dès que s’ouvre le livre, on est d’ailleurs mis en garde. "Attention, contenu plein d’amour!" écrit Caron en guise d’avertissement. L’histoire commence par un déménagement, un 1er juillet, comme il se doit. Joanna Limoges, 29 ans, chroniqueuse mondaine à la solde d’un hebdo de quartier, "workaholique impénitente (et nymphomane par conviction politique)", emménage avec son chum, dénommé N’amour, "artiste des arts du cirque et, plus spécifiquement, clown". Le bonheur. Un rêve enfin exaucé. Presque trop beau pour être vrai.
Autour du couple évoluent les amis de toujours, dont Ninon, qui n’a pas le bonheur facile, et Marc, qui file un mauvais coton, et Patricia la militante, qui semble avoir déniché la femme de sa vie, et Pierre Tourangeau, le prof de littérature tourmenté. "C’est davantage une chronique qu’un roman", admet Brigitte Caron. Une chronique sur laquelle elle a passé sept années de sa vie. Si elle y a mis autant de temps, c’est, de son propre aveu, faute d’avoir laissé le projet reposer. "Francine Noël, que j’admire beaucoup, m’avait conseillé de ne pas écrire plus d’un tome aux 10 ans. Je me suis lancée trop vite dedans, j’ai écrit intensivement, pendant deux-trois ans, et puis un jour j’ai lancé le manuscrit au bout de mes bras, je n’étais plus capable! Je me poursuivais constamment avec un crayon et un papier dans la maison! Je me suis rendu compte qu’à force de me regarder vivre pour écrire sur moi, je ne vivais plus."
La vérité tricotée
Si Caron admet sans mal emprunter beaucoup à sa propre vie, ses romans ne sont pas à proprement parler des autofictions. "Je m’inspire de la vie de mes amis, c’est vrai, certains n’aiment pas toujours ça, mais je change le contexte, je prends plusieurs anecdotes, trois personnages pour en faire un. Moi, j’appelle ça de la vérité tricotée."
Une vérité qu’elle s’applique à rendre en empruntant tous les outils que permet l’écriture – le journal intime, les lettres, l’agenda, les "post-it", les quiz à choix multiples, le conte, les notes de cours et les courriels, en un joyeux mélange qui allège la lecture.
"Depuis que j’écris, j’aime jouer avec les formes, confie Caron. Maintenant, avec l’ordinateur, la télé, le vidéoclip, les gens sont habitués à une lecture qui n’est pas nécessairement linéaire. C’est tellement plus facile!"
Second tome d’une oeuvre qui pourrait bien en compter trois, Le Temps des amours lucides est solidement ancré dans le temps. L’histoire commence à la veille du référendum de 1995, et s’achève avec la mort de Dédé Fortin ("qui a été un emblème pour ma génération"). Si, avec La fin du monde…, Brigitte Caron se faisait la porte-parole de sa génération (un rôle "un peu lourd à porter"), dans ce tome 2, elle a voulu davantage dépeindre une époque. "La vie de pigiste, le rythme fou, effréné que l’on vit, ce n’est pas propre à une seule génération." Même les amours du titre sont symptomatiques de l’air du temps. "Je crois en fait que depuis l’invention de la pilule, les gars se sont rendu compte qu’ils n’étaient pas obligés de rester auprès des filles!"
Les personnages de Caron ont aujourd’hui 30 ans, "l’âge de la lucidité en amour, l’âge où l’on se rend compte qu’il n’y a rien de facile. Je trouve que les filles de 30 ans et plus y goûtent! Les deux modèles de gars que l’on retrouve dans mon roman sont les deux archétypes que j’ai rencontrés dans ma vie. Le gars qui ne veut pas s’engager, et celui qui s’engage, mais qui trompe sa blonde."
Amours, déceptions, joies et misères, couples qui se font et se défont: on ne peut s’empêcher de penser à l’univers de Stéphane Bourguignon, celui de La vie, la vie. "Pour moi, c’est un beau compliment, fait Brigitte Caron. La vie, la vie, c’est dur à battre."
En attendant la suite des mésaventures de Joanna, Ninon, Patricia et consoeurs, Brigitte Caron a mille et un projets. "Si j’écris un troisième tome, ce sera dans 10 ans! Pour l’instant, j’ai des nouvelles dans le tiroir, des idées de chansons, une pièce de théâtre que j’aimerais finir depuis des années… On verra! J’ai passé sept ans sur ce roman-là. Maintenant, j’ai le goût de vivre autre chose."
Le Temps des amours lucides
de Brigitte Caron
Éd. XYZ, 2002, 355 p.