En chute libre : de Leon Rooke
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En chute libre : de Leon Rooke

Le livre est arrivé accompagné de la copie d’une critique parue dans le magazine français Livres Hebdo, qui commençait comme ça: "Célèbre au Canada (?), la publication du délirant En chute libre nous permet de découvrir Leon Rooke, un sacré écrivain.¬"

Le livre est arrivé accompagné de la copie d’une critique parue dans le magazine français Livres Hebdo, qui commençait comme ça: "Célèbre au Canada (?), la publication du délirant En chute libre nous permet de découvrir Leon Rooke, un sacré écrivain.¬" J’ai fait le tour des collègues pour voir si j’étais décidément la plus nouille du groupe. "Leon qui?" "Rooke." "Prix du Gouverneur général en 1985 pour son roman Skakespeare’s Dog; auteur d’une pléthore de pièces de théâtre, de scénarios de films, de plusieurs centaines de short stories, et apparemment un des plus brillants et prolifiques écrivains du Canada." "Connais pas." Hé ben.

Il y a plus de 30 ans qu’il vit au Canada et qu’il y publie des bouquins, mais on a trouvé le moyen de traduire Leon Rooke en français pour la toute première fois il y a quelques mois à peine. Ce qui nous permet en effet de découvrir un sacré écrivain, qu’on apprécierait certainement plus encore s’il avait été traduit dans un français correspondant davantage à ce que l’on connaît de ce côté du globe, au lieu du charabia américo-parisien du genre: "Il va pêcher un pack de six derrière le siège, puis demande: Que diriez-vous d’une petite mousse?" M’enfin. Ce ne sera pas assez pour nous faire passer à côté de ce Leon Rooke et de son savoureux, sauté, inclassable En chute libre, dont le moindre honneur n’est pas d’être préfacé par Russell Banks et applaudi en quatrième de couverture par Michael Ondaatje (tous deux abondamment traduits en français: Dieu merci).

S’il fallait décrire le genre, disons qu’En chute libre appartient au road novel, pour la simple et bonne raison que ses trois personnages principaux traversent en voiture la majeure partie des États-Unis et un bout du Canada, le couple formé d’un père et de sa fille pourchassant l’épouse et mère qui les a délaissés un an plus tôt. Pourquoi est-elle partie? Personne ne le sait. Ni Raoul Daggle ni sa fille Juliette. Ni le lecteur. Pas même l’auteur, qui s’en confesse d’ailleurs en page 65. "Il ne me reste qu’à espérer que bientôt un schéma bien cadré nous expliquant sa conduite viendra nous dire où elle en est à présent, quel état d’esprit est le sien, bref qu’un coin du voile se lèvera, ne serait-ce qu’en considération du plaisir qui nous est dû." Peine perdue. Il n’y aura pas de schéma bien cadré. Tout à l’inverse, En chute libre est constitué de singuliers apartés – rencontres avec un prêtre défroqué, une lutteuse française, un chien suicidaire, un policier philosophe, les pensionnaires d’une maison de retraite, et même la conjointe de l’auteur – qui, telles les bifurcations d’une route, permettent à qui veut bien voir d’embrasser peu à peu un paysage entier. On aura ri souvent sur la route de Raoul et Juliette, le père étant un alcoolique tombeur et irresponsable, avec qui sa jeune fille partage des dialogues insensés, tandis que Joyel Daggle, un détective à ses trousses, égrène les kilomètres à la recherche de son identité. Mais ces êtres farfelus et leurs familles décimées nous auront sans cesse confrontés à la condition, terrible et actuelle, de ces millions d’entre nous, pareillement affligés. Phébus, 2002, 320 p.

En chute libre
En chute libre
Leon Rooke