Essais critiques, I, II : de Louis DantinÉdition critique pas Yvette Francoli
"Louis Dantin est le nom imaginaire d’une personnalité qui veut rester mystérieuse": c’est ainsi qu’Eugène Seers dévoilait une partie du visage qu’il masquait sous son principal pseudonyme.
Édition critique par Yvette Francoli
"Louis Dantin est le nom imaginaire d’une personnalité qui veut rester mystérieuse": c’est ainsi qu’Eugène Seers dévoilait une partie du visage qu’il masquait sous son principal pseudonyme.
Eugène Seers est né à Beauharnois en 1865, mais Louis Dantin, lui, a vu le jour dans un journal en 1900. Depuis 1883, Seers était prêtre et mettait déjà en doute sa vocation pour la soutane: l’un de ses sérieux doutes se prénommait Charlotte… En 1897, il fit la rencontre de Nelligan. Il semble d’ailleurs que certains des célèbres vers de l’étudiant bohème doivent beaucoup à la collaboration de Dantin!
En 1903, Dantin devient le créateur du mythe de Nelligan lorsqu’il entreprend de faire un livre des oeuvres éparses de son protégé. La même année, le père Seers défroque. En 1904, il est à Boston, déjà papa d’un garçon né d’une Noire! Tout le reste de sa vie, jusqu’en 1945, Dantin résidera là-bas, en gagnant sa croûte comme typographe auprès des presses de l’Université Harvard. "J’aime mieux vivre, écrivait-il dans une lettre de 1938, sous le régime large, humain, progressif de Roosevelt, que sous la férule moyenâgeuse de Duplessis dans un Québec voué aux plus tyranniques et aux plus sottes intolérances."
C’est depuis les États-Unis que, de 1920 à 1942, Dantin rédigera les textes rassemblés par Yvette Francoli sous le titre d’Essais critiques. Le commentateur déjà vieillissant s’y montre particulièrement réceptif aux nouvelles voix poétiques des années 30: celles d’Alfred DesRochers et de Paul Morin, entre autres. Très sensible aussi aux écrits des jeunes femmes: "Il se produit dans nos sphères littéraires un intéressant phénomène, note-t-il en 1929. La poésie, si longtemps chez nous privilège masculin, comme la science, le sport, la politique, s’est vue envahie tout à coup par un essaim de muses nouvelles, […] aussi femmes qu’on peut l’être, modernes jusqu’au bout de leurs ongles polis. […] Cela n’est-il qu’une phase de ce féminisme conquérant qui s’affirme dans toutes les activités […]? Le fait est là: pour un recueil de vers paraphé d’un prénom robuste, il en paraît deux maintenant signés Jeanne, Lucille ou Alice. […] Nos poétesses sont à la page: elles ont l’âme du jour et de l’heure."
Le critique était également passablement réfractaire aux frilosités nationaleuses: lorsque Mgr Roy réclamera, en 1931, que les écrivains se fassent les porte-parole de l’identité nationale québécoise, Dantin écrira que ""Nationalisation" est un mot très long et très vague qui peut dire trop ou ne dire presque rien. […] S’il fallait l’exprimer d’un mot, c’est "caractérisation" qu’on eût pu dire, ce qui eût eu une syllabe de moins. Il nous demande d’écrire de ce que nous connaissons, de ce que nous sentons, et de déverser dans nos livres notre âme propre et non celle d’autrui. […] Être national, ce n’est qu’un des moyens, et pas infaillible d’ailleurs, d’être original".
Entrecoupés de nombreux extraits de son imposante correspondance, les Essais critiques de Louis Dantin permettent de découvrir un penseur, un personnage, un destin d’une grande originalité: un phare solitaire d’intelligence et de clairvoyance au coeur de la grande noirceur. Presses de l’Université de Montréal, coll. Bibliothèque du Nouveau Monde, 2002, 1012 p.