Jacques Côté : Le rouge et le noir
Avec Le Rouge idéal, Jacques Côté met l’ex-ville de Sainte-Foy sur la carte du polar. Nous avons rencontré l’écrivain sur les lieux du crime.
Nous sommes au chic Centre d’achats de la Colline, chemin Sainte-Foy, quelques coins de rue à l’est du boulevard Duplessis. Dans un "pub" qui n’a d’anglais que le nom, au coeur d’un petit centre commercial déprimant, comme on en voit partout en périphérie des banlieues nord-américaines. Cet environnement, Jacques Côté le connaît par coeur. Il y a passé son enfance et son adolescence. Il en a même fait le décor de Nébulosité croissante en fin de journée, son quatrième roman, mais son premier polar, mettant ainsi pour la première fois, sauf erreur, la ville de l’ex-mairesse Boucher sur la carte du polar.
"Pourtant, s’exclame Jacques Côté, quel bel endroit pour situer une intrigue! Il y a tellement eu de crimes sordides autour d’ici… Je le sais, j’habitais ce quartier-là, et régulièrement je voyais passer une ambulance, un camion de la morgue, une voiture de police. Je me souviens d’un crime qui s’était produit dans un immeuble près de chez moi, un homme qui avait tué sa femme et son enfant avant de se suicider. J’étais p’tit cul, j’avais tout lu là-dessus, les Allô police, tout. Chaque fois que je voulais me rendre au centre d’achats, je devais contourner cet immeuble. Et chaque fois, j’y repensais."
Si l’auteur des Montagnes russes et des Amitiés inachevées était prédestiné à concocter un jour ses propres intrigues, il a mis du temps à se mettre à la tâche. Il a fallu un concours de circonstances, une "traversée du désert", le départ précipité de Côté et de son éditeur, Jean Pettigrew, de la maison Québec Amérique. Il a fallu que Pettigrew fonde sa maison (Alire) consacrée aux romans policiers et autres "mauvais genres", puis qu’il invite Côté à lui écrire un polar. Celui-ci l’a pris au mot. Et s’est pris au jeu.
"Je lisais déjà beaucoup de romans policiers, raconte Côté. Ed McBain, John Sanford, Patricia Cornwell, P.D. James. Je découvrais des auteurs qui m’inspiraient, chez qui je pouvais aller chercher beaucoup, sans renier ce que j’avais fait au départ. Et puis un jour, par un beau dimanche ensoleillé, je me suis rendu au Marché aux puces de Sainte-Foy, et j’ai vu une magnifique machine à écrire Smith Corona. Moi qui étais fatigué de travailler à l’ordinateur – j’étais constamment devant mon écran -, je me suis dit que taper à la machine me donnerait un rythme, un élan que je n’aurais pas autrement. J’ai fait le bon choix. Il y avait tout le plaisir de voir les frappes s’abattre sur le papier, ce plaisir d’une autre époque: j’avais l’impression d’écrire comme le faisaient les auteurs de romans noirs des années 40-50. Au bout d’à peine quelques mois, j’avais mon premier jet."
Nébulosité croissante… mettait en scène un couple d’enquêteurs de la S.Q. qu’on retrouvera avec bonheur dans le trépidant Rouge idéal: Daniel Duval, veuf, père poule d’une fille qui est la prunelle de ses yeux, et Louis Harel, gros ours mal léché qu’on n’arrive pas à détester. Dans cette nouvelle enquête, Duval aura affaire à un misogyne fou de poésie, et de Baudelaire en particulier. "Cette histoire m’a permis de faire des liens intéressants entre le métier de poète et écrivain et celui d’enquêteur, raconte l’auteur, qui enseigne la littérature au cégep. On dit que les poètes sont ceux qui voient des choses que le commun des mortels ne voit pas. C’est la même chose pour les enquêteurs, ils sont à la recherche de micro-indices que les autres ne voient pas."
C’est en faisant de la recherche pour Le Rouge idéal que Côté a entendu parler pour la première fois du Dr Wilfrid Derome. Grâce à un livre de criminalistique où l’on parlait de la fondation du premier laboratoire de médecine légale et de police technique en Amérique, et qui mentionnait la contribution extraordinaire de Derome, présenté comme un véritable pionnier. Le personnage a piqué la curiosité de l’auteur, qui a soumis son projet au jury du Concours La Presse de la biographie, lequel lui a décerné son premier prix. "Si tout va bien, promet Côté, la biographie paraîtra à l’automne 2003." En attendant, l’auteur, jeune papa d’une petite Rose de six mois, est déjà à concocter la troisième enquête de Duval, où il sera question, tiens, tiens, du rapt d’une enfant…
Le Rouge idéal
De Jacques Côté
Éditions Alire
2002, 429 p.