Hennissements / Carcasses au crépuscule : Poésie réalité
Poète estimé, génial parolier de Chloé Sainte-Marie, Patrice Desbiens élabore depuis 25 ans un projet littéraire insolite et audacieux. Hennissements ne fait pas exception: le projet mêle de manière aléatoire les textes du recueil Les Conséquences de la vie, paru en 1977 chez le même éditeur (Prise de parole), et ceux d’un récent manuscrit. Le résultat embrasse l’intégralité d’un travail qui, comme jamais, apparaît cohésif autant que décapant.
Poète estimé, génial parolier de Chloé Sainte-Marie, Patrice Desbiens élabore depuis 25 ans un projet littéraire insolite et audacieux. Hennissements ne fait pas exception: le projet mêle de manière aléatoire les textes du recueil Les Conséquences de la vie, paru en 1977 chez le même éditeur (Prise de parole), et ceux d’un récent manuscrit. Le résultat embrasse l’intégralité d’un travail qui, comme jamais, apparaît cohésif autant que décapant.
Aujourd’hui comme à l’aube de son oeuvre, Patrice Desbiens aime ancrer son texte dans le quotidien. Le poète entre dans une cantine ou déambule sur le boulevard Saint-Laurent, peinard, quand un glissement soudain s’opère. Le banal s’ouvre alors sur un univers d’intuitions, de réinvention du monde, où sont libérés les appétits du corps.
Hennissements laisse une impression de promenade. Pas de promenade du dimanche, entendons-nous, mais de progression dans une forêt urbaine où rien ne laisse prévoir la page suivante. Le badaud discute avec Eric Clapton, qui passait par là, de "son son" et des divinités du rock, avant de croiser un revendeur de camelote qui essaie de lui vendre une montre cheap, symbole d’un "futur furtif". Parfois un peu trop sûr de ses moyens – quand il donne dans le calembour, le meilleur côtoie le pire -, Patrice Desbiens démontre que le poème peut être à la fois profond, sensible et drôle. On goûte entre autres les chroniques où il tourne en dérision les vices de l’Amérique: "Le petit garçon blond américain / (son père est un grand / garçon blond américain) / sort son fusil à l’eau & / tire sur tous les passants / qui meurent / en sacrant".
Patrice Desbiens puise l’encre de sa poésie dans la vie environnante. Pas de quelque territoire hypothétique et fabulé dans un moment d’illumination. La transition est facile avec le travail de Patrick Brisebois.
Romancier du vide générationnel et de l’égarement amoureux (Que jeunesse trépasse, Trépanés), Brisebois se frotte aujourd’hui à la forme exigeante du poème. Dans des textes en vers mais souvent narratifs (proches dans la forme de ceux de Desbiens), on retrouve ses préoccupations habituelles – impression tenace de s’engager vers un "no future", évasion momentanée dans l’alcool, critique amusée du milieu littéraire montréalais -, mais également le récit d’un avortement ou un parallèle entre la mort et les cadeaux de Noël.
Si l’angle de vue nous rappelle ses romans, tout y est plus épuré. On assistera bien sûr à quelques cuites et quelques envolées iconoclastes, mais Patrick Brisebois s’interdit désormais les effets faciles, et il y a un bel aplomb stylistique chez ce poète qui, paradoxalement, traite essentiellement de ses incertitudes chroniques devant la vie. "Je suis pourtant de nature joyeuse / m’amusant d’un rien / riant facilement", écrit-il avant d’évoquer l’autre partie de lui-même, plus sombre, qui "continue à écrire des choses noires et déprimantes".
J’espère en tout cas que Patrick Brisebois continuera d’écrire des poèmes. D’ici là, Carcasses au crépuscule représente pour le moins un détour fécond pour le romancier, qui ne laisse aucun doute sur sa capacité, comme Patrice Desbiens, à trouver cette brèche par où la réalité de tous les jours en rejoint une autre, qui l’englobe et la dépasse.
Hennissements, de Patrice Desbiens
Éd. Prise de parole
2002, 104 p.
Carcasses au crépuscule, de Patrick Brisebois
Éd. de l’Effet pourpre
2002, 80 p.