Toutes les familles sont psychotiques : Séropositif boogie
Livres

Toutes les familles sont psychotiques : Séropositif boogie

Oui, il y a eu une vie pour DOUGLAS COUPLAND après Generation X. L’auteur canadien le confirme avec cette sitcom, son dixi\ème livre, hilarante illustration du fait que Toutes les familles sont psychotiques

Plus de 10 ans après son roman-culte Generation X, l’écrivain-sculpteur-designer canadien Douglas Coupland revient avec Toutes les familles sont psychotiques: une hilarante fable familiale qui, pour incongrue qu’elle soit, réussit tout de même à illustrer ce que nous sommes devenus…

Après avoir été nommé contre son gré porte-parole de la société des post-baby-boomers, Douglas Coupland a, bon an, mal an, pondu des livres de façon régulière, tâtant entre autres du couple (Miss Wyoming), du Bill Gates (Microserfs), et même du Lara Croft (Lara Croft and the Tomb Raider Phenomenom). Il a ses fans inconditionnels. Et il a ses détracteurs, plusieurs chroniqueurs lui ayant reproché au fil des ans de mettre en scène des personnages sans profondeur qui évoluaient dans des scènes décidément trop courtes pour véhiculer quelque émotion que ce soit.

Mais c’était peut-être oublier que Coupland est un pur produit de l’ère télévisuelle qui a fait ses classes avec les sitcoms Hogan’s Heroes et Gilligan’s Island, un monde où le paraître était déjà tout et où on laissait volontiers au téléspectateur le loisir de découvrir les émotions véritables – il y en avait! – sous le fatras de mélodrames et de pitreries. Telle est encore à l’évidence la source à laquelle s’est abreuvé le romancier pour pondre son dixième titre.

Imaginez les meilleurs (!) moments d’une comédie de situation.

Quelle famille…
Janet Truro, mère sexagénaire, se voit infectée du V.I.H. par une balle de fusil qui transperce son séropositif de fils, Wade, avant de se loger dans sa chair à elle. Le séropositif de fils, Wade, couche sans le savoir avec la deuxième épouse de son père, Ted, refilant du coup à sa belle-mère, Nickie, après l’avoir donné à sa mère, Janet, le virus du sida. Le même fils, Wade, après une réconciliation avec son père, Ted, entraîne ce dernier, et son jeune frère, Bryan, dans une magouille censée leur rapporter beaucoup d’argent: il s’agit de livrer en main propre à un milliardaire vivant aux Bahamas la lettre que le prince William a déposée dans le cercueil de sa mère, Diana, et qui commence par "Ma chère petite maman".

Donc, le toujours même Wade est marié avec une ex-toxicomane, Beth, qui a surmonté la terreur d’apprendre qu’elle était elle aussi séropositive en devenant Jesus freak. Wade a un frère, Bryan, on l’a dit, qui, après avoir multiplié les tentatives de suicide afin qu’on lui reconnaisse le droit d’exister, est devenu presque heureux le jour où il a participé à une manifestation antimondialisation au cours de laquelle il a rencontré sa blonde, Shw. L’étrangement nommée Shw a décidé, au grand désespoir de Bryan qui n’a pas besoin de ça, de vendre leur futur bébé à un couple de petits-bourgeois qui cachent incidemment une salle de torture dans leur sous-sol.

Enfin, Wade et Bryan ont une soeur cadette, Sarah, enfant de la thalidomide à qui il manque une main, ce qui ne l’empêche pas d’être devenue une célèbre astronaute. Voilà d’ailleurs pourquoi les membres de la famille Drummond se trouvent réunis à Miami, picolant et se mourant ensemble ou chacun de leur côté, tandis que Sarah, qui est la seule à avoir une tête sur les épaules, attend de s’envoler de cap Canaveral vers la Lune.

Inutile de dire que les lecteurs que rebutent les scènes courtes et apparemment sens dessus dessous seront vite irrités par Toutes les familles sont psychotiques, où pensées intérieures et gestes significatifs ne semblent guère avoir de place.

Et pourtant, de cette galerie de caricatures mises en action par Douglas Coupland émerge une société que l’on ne reconnaît que trop. Un père macho, n’ayant aucune ressource de tendresse et de compréhension à livrer à ses enfants. Des fils qui, à défaut de pouvoir jamais plaire à leur père, ont multiplié les bêtises et les jobs de peu d’envergure. Une fille qui a gentiment fait ce qu’elle pensait qu’on attendait d’elle. Une mère qui s’est retrouvée tellement démunie lorsque sa famille a été décimée qu’elle est toujours prête à rejoindre l’un ou l’autre, où qu’il soit, et peu importe la situation.

Comment, dans un monde où menace le sida, où l’on peut vendre et acheter des bébés, dans un monde où l’on se sent si peu de chose, comment donc laisser sa marque dans l’univers? À cette question que pose sans relâche son roman, Coupland ne peut s’empêcher d’apporter une première réponse comique, qui est d’ailleurs tout à fait dans l’air du temps: je me clone, donc je suis.

Mais sous-jacente à la farce demeure notre terreur d’être venu, d’avoir vécu, et puis de n’être tout simplement plus rien.

Toutes les familles sont psychotiques
de Douglas Coupland
Traduit de l’anglais par Maryvonne Ssossé
Éd. Au diable vauvert, 2002, 389 p.

Toutes les familles sont psychotiques
Toutes les familles sont psychotiques
Douglas Coupland