

Monique Durand : Portrait de femme
Dans son magnifique premier roman, La Femme du peintre, la journaliste et réalisatrice MONIQUE DURAND raconte le destin exceptionnel d’une Anglo-Montréalaise et de son grand amour. Une belle découverte.
Marie-Claude Fortin
Il y a des hasards qui n’en sont pas. Des collisions que l’on dirait prédestinées. Un jour, à Toronto, il y a un peu moins de 10 ans, la journaliste et réalisatrice Monique Durand croise un ami qui lui propose de lui présenter une vieille dame de sa connaissance. L’ami sent intuitivement que les deux femmes ont beaucoup à partager. Une intuition que Monique Durand, curieuse, s’empresse de suivre. Le rendez-vous est organisé. La vieille dame s’appelle Evelyn Marcil. "Elle avait à cette époque 77 ou 78 ans, se rappelle Monique Durand. Elle marchait courbée, pliée, littéralement, à 90 degrés, mais elle avait un visage éblouissant, elle était resplendissante, avec son maquillage soigné, sa petite coupe de cheveux très moderne. Ça a tout de suite cliqué. J’ai eu l’impression de rencontrer un véritable personnage de roman. Voilà comment tout a commencé."
Et voilà comment est né La Femme du peintre, premier roman de cette femme vive, enjouée, énergique, qui vit "toujours rien que sur un pied" et qui adore ça, évoluant entre la France, le Québec et les pays où l’emmène son travail de réalisatrice radio (c’est elle qui a signé Les Femmes et la Guerre, cette série de 10 émissions d’une heure diffusée ici et en France, dont elle était la "réalisatrice, femme-orchestre, journaliste, écrivaine, scénariste, tout!"). Voici comment ce qui devait être, au départ, le sujet d’un documentaire est devenu un magnifique roman, "et non une biographie, je tiens à le dire, insistera l’auteure. Car cette femme-là m’a permis de raconter des pans de sa vie, de grappiller ici et là, d’en faire un roman. Comme c’était une artiste, elle m’a permis de tout réinventer. Malheureusement, elle est morte avant que le livre ne soit publié".
La Femme du peintre raconte donc, en le retouchant, comme on retouche un portrait, le destin hors norme de cette femme élevée dans le Montréal anglophone et petit-bourgeois du début du siècle. Simple chapelière engagée chez Eaton, Evelyn Rowat fuira très jeune sa famille et la vie médiocre qui l’attend inévitablement pour suivre, ô scandale, un musicien de jazz jusqu’à New York. C’est là-bas qu’elle fera la rencontre de celui qui deviendra l’homme de sa vie, René Marcil, un peintre méconnu, tourmenté, qu’elle aimera plus qu’elle-même, plus que sa propre vie.
"Evelyn considérait que le génie des deux, c’était lui, raconte Durand. Pourtant, sa carrière connaissait un succès spectaculaire, elle était devenue une dessinatrice de mode reconnue par les plus grands, elle était millionnaire. Mais toute sa vie, elle s’est dévouée pour faire connaître l’art de son mari, pour convaincre tout le monde qu’il était un génie. Or, il est resté inconnu, totalement, et c’est toute l’ironie de l’histoire." Inconnu, et malheureux, amer et dur envers cette femme qui l’aimait à la folie.
"Je la vois, écrit Monique Durand, posant pour René dans l’appartement de la rue Séguier (…), docile, appliquée à ne pas broncher devant le peintre intraitable comme un vieil ours mal léché. Quand elle bouge un tant soit peu, au bout d’interminables minutes à retenir son souffle et la moindre esquisse de détente, il crie. Elle se reprend sans mot dire et réintègre sa posture figée, se rendant à nouveau minérale, coagulée dans sa peau de plâtre, essayant de réduire le pouls de son coeur qui bat d’autant plus fort qu’elle voudrait l’enfouir. Comme un fou rire."
Petits tableaux
Ce roman-là, magnifiquement écrit, empreint de poésie, Monique Durand l’a rédigé lors d’un congé de huit mois en Provence, un séjour inespéré, organisé par un homme qui avait lu et adoré son recueil de nouvelles, Eaux (Le Serpent à Plumes, 1998), et qui a décidé de l’aider. "Moi qui travaille 20 heures sur 24, fait-elle, je n’aurais pas pu l’écrire autrement!" En attendant le prochain congé, qui ne sera pas pour bientôt, puisque l’auteure prépare une série radiophonique qui a pour titre de travail Refaire le monde ("10 heures de documentaire en français et 10 en anglais, un travail dingue, j’en ai pour au moins trois ans!"), on lira et relira les courts chapitres de La Femme du peintre que l’auteure a imaginés comme autant de petits tableaux. On savourera ces rencontres que Monique Durand nous a organisées avec des êtres qu’elle a voulu "sortir de l’anecdote. Evelyn est une femme qui a inventé sa vie, contre vents et marées, contre tous les codes de son temps. Elle a inventé son bonheur, même si c’était un bonheur tourmenté. Et je voulais aussi parler de ça. Du bonheur et de la mélancolie. De cette mélancolie qui est peut-être la face cachée du bonheur, celui qu’on a peur de perdre, à cause de notre finitude, de ce bonheur qui fait des larmes".
La Femme du peintre
de Monique Durand
Le Serpent à Plumes, 2003, 185 p.