Celui qui parle aux fantômes (Sagah-Nah, tome 1) : de François Lapierre
Parmi les (trop) nombreuses séries de bandes dessinées paraissant en Europe et mettant en scène l’univers des "Indiens d’Amérique" (comme on dit là-bas), univers stéréotypé s’il en est dans le domaine du neuvième art, ressort une exception rafraîchissante et divertissante: Sagah-Nah, de François Lapierre. Un premier volume paru aux Éditions Soleil, qui en est à sa seconde impression en France, et qui a été lancé à Montréal la semaine dernière.
Parmi les (trop) nombreuses séries de bandes dessinées paraissant en Europe et mettant en scène l’univers des "Indiens d’Amérique" (comme on dit là-bas), univers stéréotypé s’il en est dans le domaine du neuvième art, ressort une exception rafraîchissante et divertissante: Sagah-Nah, de François Lapierre. Un premier volume paru aux Éditions Soleil, qui en est à sa seconde impression en France, et qui a été lancé à Montréal la semaine dernière.
Le prétexte à la série est le suivant: Zakarie, jeune métis adopté par la peuplade abénaquise de Watopeka, est convoqué par le gouverneur de la Nouvelle-France, à Québec, pour servir de guide et d’interprète. Afin de lui faire prouver sa valeur, trouver sa voie et son nom mystique, les sages de la communauté lui recommandent de ne pas emprunter la rivière et de se rendre à pied au lieu de son assignation.
Le premier volume du cycle, intitulé Celui qui parle aux fantômes, relate donc essentiellement la traversée solitaire et initiatique de la forêt par le héros qui se rend vers la capitale à la fin des années 1680. Il y fait un certain nombre de rencontres qui le mettent en contact avec un monde spirituel et fantastique: un violoniste qui fait danser les morts, une vieille Montagnaise qui lui raconte sa version à elle de la genèse de l’humanité, une déesse merveilleusement belle descendant des esprits de la terre…
Personnage haut en couleur, le diable lui-même est au rendez-vous. Un diable éloigné tant du rusé malveillant des légendes du terroir québécois que de l’élégant révolté des romantiques, un diable philosophe, querelleur et profiteur, à qui un territoire tout neuf, rempli d’âmes, vient d’être offert, mais où "la compétition pour les trépassés est on ne peut plus féroce". Devant Zakarie, qui s’étonne de le rencontrer dans un Nouveau Monde en bonne partie païen, donc imperméable à la menace infernale, Satan explique que la soif de conversion des jésuites, qui ont enseigné aux Indiens les notions de bien, de mal, de péché et de culpabilité, lui a rendu accessible tout un peuple qui croit dorénavant à l’enfer.
Privilégiant l’approche du conte, tant par sa forme, inspirée de l’art primitif, que par ses personnages fantastiques, ses situations et ce lieu mythique entre tous qu’est la forêt, ce premier volume est présenté par l’éditeur comme étant en réalité le "tome 0" de la série, précédant la saga officielle, dont la structure narrative devrait être plus conventionnelle. Cette forme du conte, mêlée à la personnalité espiègle du héros et aux dialogues souvent comiques qui résolvent les tensions du récit, est pourtant une des qualités essentielles de l’oeuvre.
Avant d’être bédéiste, François Lapierre, né en 1970 à Laval, au Québec, peint à l’acrylique et fait carrière en dessin animé. Le dessin texturé, assisté par ordinateur, et les couleurs chaudes et éclatantes de l’album bénéficient manifestement de la maîtrise de ces deux formes d’art, de même que l’étonnant travail sur les ambiances, les cadrages et les corps filiformes, nerveux, séduisants de ses personnages. Une calligraphie et des phylactères élaborés et soignés complètent cette oeuvre remarquable par son souci du détail et qui, pour être la première d’un jeune créateur, n’en est pas moins fort accomplie. Éditions Soleil, 2002, 46 p.