Palooka Ville : La vie, la vie
Depuis 1991, le bédéiste ontarien Seth publie aux éditions Drawn and Quarterly un comic book paraissant sous le titre générique de Palooka Ville. L’ensemble formé par les volumes 4 à 9 et intitulé It’s a Good Life If You Don’t Weaken fut réuni dans un livre en 1996.
Depuis 1991, le bédéiste ontarien Seth publie aux éditions Drawn and Quarterly un comic book paraissant sous le titre générique de Palooka Ville. L’ensemble formé par les volumes 4 à 9 et intitulé It’s a Good Life If You Don’t Weaken fut réuni dans un livre en 1996. On y voyait Seth lui-même partant à la recherche de Kalo, un obscur dessinateur du New Yorker des années 50 qui le fascinait et qui était disparu sans laisser de traces. Seth a longtemps entretenu le mystère autour de ce personnage chez ses lecteurs, avouant plus tard que Kalo n’avait jamais existé.
Ce livre magnifique, illustrant une quête initiatique consacrée au neuvième art, est considéré comme un chef-d’oeuvre de la bande dessinée de la dernière décennie. Comme plusieurs de ses contemporains, l’auteur y privilégie une forme particulière d’autofiction axée sur une quotidienneté tout ce qu’il y a de plus banale, racontée sans passion, l’enquête qui constitue l’intrigue pouvant parfois n’apparaître que comme un prétexte. Son style graphique, franchement rétro, s’y inspire de celui de grands dessinateurs de ce même New Yorker du milieu du siècle, tels que Peter Arno et Charles Addams.
Alors que It’s a Good Life If You Don’t Weaken fut la première oeuvre de Seth à être traduite en français, sous le titre La vie est belle malgré tout (Humanoïdes Associés, 1998), les Éditions du Seuil proposent cette année la version française des volumes 1 à 3 de Palooka Ville. Ceux-ci contiennent deux récits indépendants qui se présentent comme de courtes et belles ébauches du principe de l’autofiction développé dans It’s a Good Life.
Dans le premier récit de 25 planches, signé en 1990, l’auteur se dépeint au début de sa vie adulte comme un jeune dandy torontois. Un soir où sa petite amie est sortie, il se retrouve seul dans le métro, où il est pris pour un homosexuel par de jeunes rockers qui se mettent à le rouer de coups sous le regard des employés et des passagers qui ne font rien pour le secourir. Voyeurisme qui est étrangement mis en parallèle avec le détachement du narrateur durant son agression: "C’était vraiment bizarre. Au moment où ça se passait, je me sentais calme et détaché. Comme si je ne faisais qu’observer, sans participer à la bagarre. Même quand ils me frappaient, je ne pouvais me résoudre à rendre les coups." À l’agression succède l’errance urbaine du héros, durant laquelle apparaît une pléiade de personnages secondaires, allant d’une amie qui soigne ses blessures, puis lui demande un dollar pour aller s’acheter des beignes, à deux copains gais à qui il raconte son épreuve et qui se réjouissent de n’avoir jamais rien vécu de semblable.
Le second récit (en deux parties) raconte l’amour déçu et la première aventure sexuelle de Seth (ici prénommé Greg) avec une femme mariée, épouse du patron du restaurant où il travaille l’espace d’un été. Empreinte de nostalgie, cette seconde histoire contient les ingrédients essentiels de It’s a Good Life: une relation méthodique des faits, à la première personne, ainsi qu’un dessin épuré et monochrome (blanc, noir et sépia) privilégiant un rapport étroit entre le personnage et son décor, les deux pouvant disparaître à tour de rôle afin d’évoquer certaines émotions.
Le seul défaut de cette intéressante bande dessinée tient peut-être à sa traduction trop française, peu représentative de l’univers canadien. La langue d’affichage, tant en ville qu’en province, est laissée au hasard, certains panneaux et affiches des décors étant traduits, d’autres non, sans suivre de logique apparente. On est également dérangé lorsqu’on voit sortir de la bouche d’un personnage une expression aussi typiquement anglaise que "Join the club" devenue un insipide "Bienvenue au club", tandis que les "donuts" (beignes) de l’histoire restent quant à eux des "donuts", en bon français de France…y
Palooka Ville
De Seth
Trad. par Agnès Arnaut
Préface de Charles Berbérian
Éd. du Seuil, 2002, 80 p.