Quatre Soldats : Front commun
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Quatre Soldats : Front commun

Nous sommes en 1919. Une troupe de soldats de l’armée rouge bat en retraite du front roumain et se dirige avec peine vers les terres polonaises. Parmi eux, Bénia, un jeune homme de Dorovitsa dont les parents sont morts, un pauvre bougre qui se sent "seul dans le monde", jusqu’à ce qu’il fasse la rencontre de ses compagnons d’infortune: l’habile et débrouillard Pavel, Sifra au regard "doux et prophétique", et Kyabine, immense, fort comme un boeuf, mais à la cervelle d’oiseau.

Nous sommes en 1919. Une troupe de soldats de l’armée rouge bat en retraite du front roumain et se dirige avec peine vers les terres polonaises. Parmi eux, Bénia, un jeune homme de Dorovitsa dont les parents sont morts, un pauvre bougre qui se sent "seul dans le monde", jusqu’à ce qu’il fasse la rencontre de ses compagnons d’infortune: l’habile et débrouillard Pavel, Sifra au regard "doux et prophétique", et Kyabine, immense, fort comme un boeuf, mais à la cervelle d’oiseau.

L’hiver est à leurs portes, les soldats doivent se construire une cabane dans la forêt; les quatre héros qu’a imaginés Hubert Mingarelli vont réussir à ne pas mourir de froid grâce à l’ingéniosité de Pavel, capable de construire une cabane solide et un vrai bon poêle à bois à l’aide d’un fût d’huile de moteur. Bientôt ce sera le printemps, et Bénia dira en son coeur, à sa mère et son père disparus: "Mes parents, regardez-moi et ne craignez plus pour moi car j’ai survécu à l’hiver et j’ai des camarades à présent."

Dixième roman de l’auteur d’Une rivière verte et silencieuse, mais quatrième écrit pour les adultes, Quatre Soldats raconte la trêve vécue par ces hommes, le moment de répit que la saison froide a rendu obligatoire, et qui, chacun le sait, s’achève, car l’été arrive et la guerre recommencera. Dans cet univers de rationnement, tout prend une valeur accrue, chaque gorgée de thé est un cadeau du ciel ("à peine bu, c’était déjà un thé plein de nostalgie"), chaque cigarette roulée vaut de l’or. Mais à quatre, ils possèdent déjà beaucoup plus que la plupart de leurs camarades. Ils ont une paire de dés pour occuper les temps morts, un étang qu’ils ont découvert et dont ils gardent l’emplacement secret, ils ont leur amitié, et une montre que Sifra a prise sur le corps d’un officier de cavalerie en Galicie et avec laquelle ils dorment à tour de rôle. Pas pour avoir l’heure: "[…] le mécanisme était cassé, mais pour la photographie d’une femme qui était à l’intérieur. C’était agréable de dormir avec cette photographie. Nous nous imaginions que cela portait chance."

Aux quatre amis s’ajoutera bientôt un cinquième, un tout jeune homme qui se présente comme volontaire. Il s’appelle Evdokim. Il a quelque chose que les autres n’ont pas: il sait écrire. Et chaque jour il note dans son carnet ce qu’il voit, ce qui se passe autour de lui. Le cheval volé, les canards pourchassés, les après-midi au bord de l’étang, ce brin d’herbe frémissant au vent, accroché à un fil d’araignée, les couvertures qu’on lave en les frottant avec du sable, la gorgée de thé, les prouesses de Sifra qui sait remonter un fusil les yeux bandés, les cauchemars de Pavel, les angoisses de Bénia. Evdokim écrit, et les petits événements de la vie des quatre soldats prennent un sens, enfin, parce qu’ils sont écrits.

Il y a quelque chose de quasi magique dans ce livre de Mingarelli. Il ne se passe presque rien, et pourtant la vie s’agite, palpitante. Les héros ont peine à s’exprimer, ne trouvent jamais les mots, et pourtant l’écriture est empreinte de poésie, des images se dessinent, cruellement belles, si bien que le roman, lourd de toute la solitude, la misère humaines, semble littéralement porté par la grâce.

Quatre Soldats
D’Hubert Mingarelli
Éd. du Seuil, 2003, 201 p.

Quatre Soldats
Quatre Soldats
Hubert Mingarelli