Bartolomé de Las Casas : Histoire des Indes
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Bartolomé de Las Casas : Histoire des Indes

Ailleurs, les événements s’enchaînent au fil des ans; ici, en Amérique, ils se déchaînent! Faute d’être longue, l’histoire du Nouveau Monde semble d’autant plus dense: le temps y est court, mais il court. Cette histoire commence littéralement en catastrophe, comme un livre dont il manque le début, qui s’ouvre à la page 1492, sans qu’il soit possible de se fier à ce chiffre afin de faire le compte des feuillets perdus.

Histoire des Indes

de Bartolomé de Las Casas

Ailleurs, les événements s’enchaînent au fil des ans; ici, en Amérique, ils se déchaînent! Faute d’être longue, l’histoire du Nouveau Monde semble d’autant plus dense: le temps y est court, mais il court. Cette histoire commence littéralement en catastrophe, comme un livre dont il manque le début, qui s’ouvre à la page 1492, sans qu’il soit possible de se fier à ce chiffre afin de faire le compte des feuillets perdus.

L’Histoire des Indes de Bartolomé de Las Casas est le grand témoignage de première main sur les premières heures pour le moins tourmentées du nouveau continent. Une grandeur qui ne se mesure évidemment pas à la seule ampleur de l’ouvrage dont les trois volumes totalisent plus de 2 000 pages! Elle tient à l’étonnante ouverture d’esprit de son auteur, l’un des tous premiers Européens à se montrer partisan de ce qu’on appelle de nos jours le relativisme culturel.

Bartolomé de Las Casas a rédigé son Histoire des Indes au milieu du 16e siècle. Quelques décennies plus tôt, il avait lui-même participé aux expéditions qui ont commencé l’exploration et, surtout, l’exploitation (pour ne pas dire la destruction) des contrées dont Christophe Colomb a dévoilé l’existence en 1492. Son livre couvre une période s’étirant sur un peu moins de quarante ans, de la découverte du Nouveau Monde aux environs de 1525, et rend autant compte des histoires qu’on a pu lui raconter que des événements dont il a été le témoin: des récits et des scènes terribles, épouvantables, horribles, qui le conduisent à remettre en question la supériorité morale et intellectuelle à laquelle prétendent ses compatriotes européens.

"Qui pourra mesurer les torts, qui ont été faits par et dans ces expéditions", s’exclame Las Casas dans les dernières pages de sa chronique. Car cette Histoire des Indes est tout le contraire d’un monument à la gloire des conquistadores: son auteur y dresse le sinistre bilan de décennies de corruption, de tueries et de massacres. Et il ne se contente pas de dénoncer les atrocités qu’on a fait subir aux premiers habitants du continent; il va jusqu’à leur reconnaître le droit de se défendre, de répliquer. Depuis que les Espagnols y sont débarqués, constate-t-il, "il n’y a jamais eu de justice dans [les] îles [du Nouveau Monde] et jamais rien n’a été fait pour réparer les torts faits aux Indiens, habitants et résidents de [ces] île[s], or partout où manque la justice, celui qui est opprimé et attaqué peut se la faire lui-même."

Il aura fallu attendre plus de 450 ans avant de pouvoir enfin se plonger dans une traduction française intégrale (signée Jean-Pierre Clément et Jean-Marie Saint-Lu) de cette toute première histoire de l’Amérique: il est d’autant plus urgent de la lire. Éd. du Seuil, 2002, 1077, 363 et 887 p.