Diffusion de la poésie : Horizons lointains
Depuis quelques années, Internet et les technologies audionumériques représentent de séduisants canaux pour les acteurs du secteur culturel. Les poètes ne sont pas en reste.
Le cliché veut que la poésie ait encore un pied dans le XIXe siècle, avec ses foulards au vent, ses souliers troués, ses apôtres prêchant dans le désert urbain. À l’heure où la poésie "prend le métro" – depuis novembre dernier, des extraits de poèmes sont diffusés en boucle sur les afficheurs électroniques des wagons -, le paysage a bien changé. Voici quelques bonnes adresses.
Un bel exemple des nouveaux habits du poème est celui de la revue Dubref, un périodique proposé sur cédérom et consacré au spoken word. Le premier numéro, lancé en février, a tôt fait de convaincre les sceptiques: performances alliant rythmes groovy et poésie, vidéos plus déjantées les unes que les autres, le tout dans un emballage digne des productions technos les plus branchées. Léon-Guy Dupuis, directeur artistique, associe les origines du projet à un constat: "Bernard Belzile, François Gaudet et moi, nous assistions régulièrement à des soirées de poésie, à des performances, et nous trouvions dommage que tout ça soit aussi éphémère. De ce point de vue, le projet Dubref en est un d’archivage. En élaborant l’idée, nous avons aussi réalisé l’intérêt de faire performer les auteurs dans des lieux inusités, plus près du quotidien, dans la rue par exemple."
Ne doutant de rien, le triumvirat allait mener l’ambitieux projet à terme, avec trois fois rien pour moyens, et présenter la revue lors du récent Festival Voix d’Amériques. Avec pour partenaire Le Vidéographe, bien connu dans le domaine des nouveaux médias, Dubref crée un espace bilingue, infiniment montréalais de facture et d’esprit. Et attention: la poésie n’y est pas qu’un prétexte au déploiement des possibilités numériques. "Le danger, c’était que le texte soit évacué, admet Léon-Guy Dupuis, que nous glissions dans un trip technologique. C’est vrai que nous avons accordé beaucoup d’importance à la facture de Dubref, mais en recherchant avant tout des textes forts."
Textes signés par Seba, le rappeur-bûcheron, mais aussi Catherine Kidd, Marie-Hélène Poitras, Yannick Duguay et quelques autres. Où se procurer Dubref? Consultez le www.dubref.com.
La toile, espace littéraire
Michel Forgues est peut-être l’auteur québécois ayant saisi le plus tôt les possibilités de diffusion spécifiques à la toile. Ce webwriter nous invite dans un univers kaléidoscopique rendant compte, au jour le jour, de ses explorations poétiques et visuelles. Une visite au http://pages.infinit.net/mfwriter, c’est un moment passé Ailleurs avec un grand A. "Je souhaitais mettre en ligne un site réellement personnel, tout sauf linéaire, qui soit une invitation à pénétrer mon espace de création." Pari tenu: avec son graphisme inspiré, ses séquences vidéo complètement atypiques, le site de Michel Forgues et du webmestre Simon Lachance constitue une singulière expérience dont le fil conducteur, encore là, demeure celui des mots.
"Le Web est, le plus souvent, une simple vitrine commerciale, observe le webwriter. J’y vois d’abord un extraordinaire outil de création et de communication, de work in progress témoignant de la voix intime d’un artiste. J’aurais aimé, moi, entendre celle de Rilke ou Rimbaud… Voir leur ouvre se forger au jour le jour."
S’il agit depuis plus de 25 ans comme comédien, metteur en scène et performeur, Michel Forgues demeure peu connu comme auteur. Il n’a publié qu’un seul recueil de poèmes (Une lettre de granite, Trait d’union), mais a indéniablement rejoint un nouveau lectorat grâce à Internet. "Depuis 2000, plus de 700 personnes ont placé mon site parmi leurs signets. Je ne suis donc pas tout seul à trouver ce lieu propice au poème. Il faut dire que plusieurs canaux de diffusion conventionnels ont été délestés de leur mission culturelle…"
Autre fleuron du Net poétique: le portail de la poésie québécoise et francophone d’Amérique (www.poesie-quebecoise.org), qui propose, entre autres, une série de fiches présentant nos poètes et une fenêtre Actualités annonçant les lancements et les lectures à venir. Bertrand Laverdure, directeur littéraire des Éditions Triptyque et auteur du récent Audioguide (Le Noroît), en est l’un des principaux animateurs. "Notre mission, dit-il, est de suivre la mouvance du milieu, de repérer les voix qui émergent, puis d’éduquer, jusqu’à un certain point. D’aider, par exemple, les jeunes poètes à trouver un moyen de publier leurs textes."
À la même enseigne, on trouve un forum de discussion, des extraits de lectures et des entrevues en real audio. "Le contenu audio-vidéo, ça demeure plutôt lourd et assez exigeant à réaliser, mais nous en faisons dès que nous trouvons les fonds et surtout le temps nécessaires! Les derniers reportages font écho au Festival de poésie de Trois-Rivières, par exemple."
Loin de voler la place au canaux traditionnels, Internet et les nouveaux médias ouvrent au poème un champ différent. Sans aller jusqu’à dire "the medium is the message", comme McLuhan, il est clair que la technologie amène de nouveaux paramètres de création. Le poème, intelligemment couplé aux outils d’aujourd’hui, résonne autrement. Sans doute mieux et certainement plus loin.