La Cage de Londres – Entrevue avec Jean-Pierre Guillet : Mars attaque
L’auteur JEAN-PIERRE GUILLET a osé écrire une suite à La Guerre des mondes. Plus de 100 ans après la publication du classique de H. G. Wells, ce prof de biologie met ses connaissances à profit pour dresser un portrait fort réaliste de ce que pourrait devenir l’humain en situation de captivité.
Un siècle et des poussières après la publication, en 1898, de La Guerre des mondes, l’auteur Jean-Pierre Guillet propose une suite à la terrifiante invasion martienne imaginée par Herbert-George Wells. L’auteur de Saint-Jean-sur-Richelieu n’est pas le premier à rendre hommage au classique de l’écrivain britannique. En effet, en 1938, le comédien Orson Welles avait déclenché une psychose aux États-Unis lors de la radiodiffusion, la veille de l’Halloween, du récit trop réaliste de l’invasion des Martiens, directement inspiré de La Guerre des mondes.
Cent ans plus tard, La Cage de Londres pousse la réflexion plus loin et propose un récit dans lequel les Martiens sont parvenus à assimiler les Terriens, maintenant considérés comme du bétail permettant de nourrir le peuple originaire de la planète Mars. Coïncidence intéressante, H. G. Wells a été professeur de biologie pendant un certain temps avant de se consacrer à la littérature. Quant à Jean-Pierre Guillet, il enseigne la biologie au collège de Saint-Jean-sur-Richelieu et consacre une partie de son temps à l’écriture de romans jeunesse, de contes écologiques, de recueils de nouvelles et d’articles pour des magazines comme Maclean’s et L’Actualité.
En 1998, son roman de science-fiction L’Odyssée du Pénélope (Éd. Héritage, 1997), qui se déroule sur Mars, a remporté le prix Aurora. C’est justement en discutant avec l’illustrateur de la couverture de L’Odyssée du Pénélope, Jean-Pierre Normand, que l’idée d’écrire une suite à La Guerre des mondes a germé dans l’esprit de M. Guillet: "On était en 1998. C’était le centenaire de La Guerre des mondes et j’ai eu l’idée de rendre hommage à H.G. Wells en écrivant une longue nouvelle", se rappelle l’auteur qui a découvert ce grand classique de la science-fiction à l’âge de 16 ans.
Le manuscrit, dont le style a été, à l’époque, jugé "trop adulte" par les éditeurs jeunesse, s’est retrouvé sur le bureau de Jean Pettigrew, aux éditions Alire. Ce dernier a suggéré à l’écrivain de transformer la nouvelle en roman, en plus d’y ajouter le point de vue des envahisseurs, qu’on ne retrouve pas dans La Guerre des mondes. "J’ai essayé de respecter le roman d’origine, mais en le développant avec des connaissances que Wells n’avait pas. À son époque, on ne connaissait pas la planète Mars comme c’est le cas aujourd’hui, grâce aux sondes qui y sont allées. Étant biologiste de formation, j’ai tenté de rendre plausible l’existence de ces êtres qui vivent sur une planète froide et sans air. En ajoutant le point de vue des Martiens (en italique dans le texte), j’ai voulu expliquer, sans nécessairement approuver, pourquoi ils agissent comme ils le font", dit l’auteur.
Relations entre humains et Martiens
Contrairement au roman de H. G. Wells, axé sur l’action et les batailles entre les humains et l’envahisseur, La Cage de Londres se veut plus psychologique, dans le sens où son auteur s’attarde plus particulièrement aux relations entre les humains asservis et leurs maîtres (les Martiens). "Il y a bien sûr de l’action, mais l’histoire porte essentiellement sur la découverte des installations aménagées par les Martiens sur Terre et sur Mars. En tant qu’adulte, j’ai eu envie d’explorer la psychologie des personnages, leurs modes de pensées et les problèmes de communication qui existent entre eux (humains et Martiens). Je me suis inspiré d’un passage dans lequel Wells mentionne qu’une fois maîtrisés, les meilleurs humains seraient mis en cage."
Ainsi, l’intrigue débute avec l’initiation d’un groupe d’adolescents qui s’apprêtent à subir leur premier prélèvement sanguin, effectué à intervalles réguliers par les maîtres. Durant la cérémonie, les jeunes sont conduits jusqu’à une chapelle, dans laquelle un Martien prélève leur sang, qui servira ensuite à les nourrir. À chaque prélèvement, le maître effectue des tests sur le liquide vital pour s’assurer de sa qualité (on se rappellera que dans La Guerre des mondes, les Martiens ont été exterminés par des microbes transmis par les humains). Au moindre signe d’impureté de leur sang, les humains, qui sont considérés comme des animaux, sont exterminés.
Étant donné que La Cage de Londres se déroule un siècle après la conquête martienne, les humains, qui vivent dans la cage de béton qu’est devenue Londres, sont complètement assimilés. Ils vivent un peu en sauvages et ne peuvent pas concevoir une autre existence que la leur. Pire, ils ne se doutent pas qu’il y a un monde au-delà des murs entre lesquels ils sont confinés. Il suffit toutefois de la curiosité d’un initié, George, pour changer la donne. Devenu l’ami d’un jeune maître, il se rend compte progressivement que leurs protecteurs sont en fait des bourreaux impitoyables. Parviendra-t-il pour autant à libérer les humains? Rien n’est moins sûr.
Avec une sensibilité incontestable, Jean-Pierre Guillet dresse un portrait fort réaliste de ce que pourrait devenir l’humain en situation de captivité. Les descriptions imagées et les termes colorés qu’il a pris le soin d’inventer permettent de plonger aisément dans l’histoire qu’il s’est appropriée avec respect. Une digne suite de La Guerre des mondes.
La Cage de Londres
De Jean-Pierre Guillet
Éd. Alire
2003, 256 p.