O.N.G.! : En vert et contre tous
La jeune vingtaine, grand ado attardé, Julien s’étiole entre un paternel et une "maternelle" à ses yeux abominablement petits-bourgeois. Quand l’occasion se présente de faire un stage d’été à la Foulée verte, un organisme voué à la protection de l’environnement et des animaux, le jeune homme croit enfin avoir trouvé une raison d’être et un sens à sa grise existence.
La jeune vingtaine, grand ado attardé, Julien s’étiole entre un paternel et une "maternelle" à ses yeux abominablement petits-bourgeois. Quand l’occasion se présente de faire un stage d’été à la Foulée verte, un organisme voué à la protection de l’environnement et des animaux, le jeune homme croit enfin avoir trouvé une raison d’être et un sens à sa grise existence.
Miraculeusement, on lui ouvre les portes malgré son grave bégaiement. "Avec son défaut d’élocution, on peut le faire passer en quota handicapés, si l’on brode un peu, fait valoir la belle Celsa. Un, le ministère de la solidarité nous débloquera des subventions. Deux, on nous fera mousser en comité central. Tu gagneras en notoriété et… Qu’une antenne régionale comme la nôtre se préoccupe autant du sort des anormaux, ça en bouchera plus d’un, là-haut". Et hop, Julien est engagé comme secrétaire "écrivain bénévole sans solde". Il devra noter dans un grand cahier tous les événements marquants et tous les discours du grand boss, Ulis, le Très-Haut, que Julien admire de tout son coeur.
Ainsi débute O.N.G.!, quatrième roman d’Iegor Gran, né à Moscou en 1964, et venu vivre à Paris à l’âge de 10 ans. Avec un humour noir totalement ravageur, l’auteur d’Ipso Facto et de Spécimen mâle trace un portrait très peu flatteur du monde des organisations non gouvernementales. À la Foulée verte, on gère la générosité comme d’autres gèrent leurs sous, on compare l’altruisme des uns et des autres comme on comparerait les compétences, et la reconnaissance est une drogue qui provoque la dépendance.
Dans leurs bureaux situés dans un grand immeuble dont les deux étages supérieurs sont inoccupés, les membres et les bénévoles (les "gratuits") de la foulée Verte vaquent à leurs nobles occupations. "Samedi, on a manifesté avec succès contre l’élargissement de l’autoroute dans la zone industrielle, et dimanche j’ai fait la quête au marché pour les pingouins de l’Arctique, note soigneusement Julien dans son grand cahier", tandis que les autres préparent la prochaine Fête du vent. Tout baigne dans un parfait bonheur de bonne conscience, jusqu’au moment où on leur apprend qu’une autre O.N.G. s’apprête à emménager au-dessus de leurs têtes.
La guerre commence avant même que les membres des deux groupes ne se soient rencontrés. Premier affront: sur le panneau d’affichage de l’ascenseur, les "vaccins" ont cavalièrement déscotché une affiche appartenant à la Foulée verte ("l’affiche au pingouin, celle que Josas a ramenée de Patagonie"). "L’affiche Enfance et vaccin avait pris ses aises, en effet. Le panneau d’affichage avait été recouvert aux deux tiers par leur papier Glycéro, chimiquement arrogant." À partir de ce moment-là, les hostilités sont ouvertes. Qu’on se le dise, la guerre sera longue et terrible.
On rit beaucoup, et très souvent, dans O.N.G.! Un rire franc, parfois jaune, et un peu plus grinçant vers la fin. Car il vaut mieux rire que pleurer devant le spectacle de la bêtise humaine, celle qui fait partie de cette espèce dangereuse et pas du tout en voie de disparition: la bêtise qui s’ignore complètement, et que le doute n’effleure jamais.
Pas étonnant que pour ce petit roman, qui vise la vanité de l’homme et l’atteint en plein coeur, Iegor Gran ait remporté le "prix littéraire de "RD/RG ", le magazine culturel de Thierry Ardisson sur Paris Première, et le 49e prix de l’Humour noir.
O.N.G.!
de Iegor Gran
P.O.L. 2003, 171 p.