J’espère que tout sera bleu : Des goûts et des couleurs
Quatre ans après avoir publié son premier roman, Les Inventés, "pierre d’assise" d’un ambitieux projet littéraire, une "octogonie" romanesque intitulée La Cathédrale, et quelques mois après avoir réuni sous le titre L’Est en West (Québec Amérique) les jolies chroniques de voyage qu’il publiait en feuilleton dans Le Devoir durant l’été 2001, Jean Pierre Girard nous revient avec un nouveau recueil de nouvelles.
Quatre ans après avoir publié son premier roman, Les Inventés, "pierre d’assise" d’un ambitieux projet littéraire, une "octogonie" romanesque intitulée La Cathédrale, et quelques mois après avoir réuni sous le titre L’Est en West (Québec Amérique) les jolies chroniques de voyage qu’il publiait en feuilleton dans Le Devoir durant l’été 2001, Jean Pierre Girard nous revient avec un nouveau recueil de nouvelles. Un recueil de nouvelles qui ne le sont pas toutes, puisque sur les neuf que compte J’espère que tout sera bleu, six ont d’abord été publiées dans différentes revues (Moebius, XYZ, Le Sabord, etc.), mais toujours, nous indique-t-on dans une notice, dans une version différente.
Parmi celles-ci, par exemple, Le Donateur (l’une des meilleures), pour laquelle Girard remportait, en 1997, la médaille de bronze aux Jeux de la Francophonie à Madagascar, et qui paraissait ensuite dans la revue Combats, en 2001. C’est chose courante, chez les nouvellistes, que de réunir des textes éparpillés au gré des publications spécialisées. Et l’on sait à quel point l’auteur de Léchées, timbrées et d’Espaces à occuper aime travailler, peaufiner, polir ses textes pendant parfois plusieurs années. Depuis son premier recueil, Silences (prix Adrienne-Choquette 1990), il a d’ailleurs pris l’habitude d’inscrire, à la fin de chaque nouvelle, le temps qui s’est écoulé entre le premier jet et la version finale. Par exemple: "Joliette, décembre 1999 – février 2003" pour la nouvelle Patience (trois pages), qui ouvre son dernier recueil; ou encore "Joliette, janvier 1997 – février 2003" pour Projet de vérité. C’est dire à quel point chaque texte a pu mûrir longuement avant d’arriver à maturité.
Pourtant, l’on retrouve, dans J’espère que tout sera bleu, du meilleur et du… moins bon. Et, triste hasard, le moins bon se retrouve dans les trois nouvelles inédites. L’histoire de Je ne sais pas comment vous dire qui vous avez tué est tout aussi impénétrable que son titre. Toute la beauté des Rubans, les étoiles, la lumière (dédiée à Jocelyne Montpetit), qui parle d’une danseuse et de sa "quête quasi quotidienne de lumière", s’abîme dans une finale qui nous rappelle à quel point est mince la ligne séparant le joli du complaisant. Tout comme Le Clown et l’Enfant, la plus longue nouvelle du lot (35 pages, "Montréal, novembre 1986 – Joliette, janvier 2002"), partie d’une image, si j’ai bien compris, que l’on retrouvait dans Lestés dans le fjord (une nouvelle du recueil Léchées, timbrées, de Girard, et dont on nous cite ici un large extrait), nous rappelle à quel point est mince la ligne qui sépare le lyrisme du ronflant…
Pourtant, à la lecture des autres nouvelles, il est clair que l’on a affaire à un nouvelliste de premier plan. Un styliste qui cherche la lumière, capable d’images inoubliables ("sa voix se gondole, écrit-il dans Le Donateur, une tôle sous la brise"), mais qui est à son meilleur quand il prend pied dans le concret, ou dans le "vraisemblable", dirait-il. Ses textes les plus forts, les plus solides, les plus brillants sont solidement ancrés dans le réel. Projet de vérité, où un homme décide, pour une fois dans sa vie, de se montrer tel qu’il est à celle qu’il aime; Le Donateur, où un autre n’arrive pas, lui, à se révéler à son demi-frère; Voir l’homme que j’aime respirer pour la dernière fois, où une infirmière doit accompagner son amour dans la mort, sont autant de petits morceaux d’anthologie, autant de pierres jalonnant une oeuvre pas toujours d’égale valeur, mais qui conserve une place d’importance dans le paysage littéraire québécois. Québec Amérique, 2003, 135 p.