Livres

Le roman policier sous enquête : Polar moderne

L’occasion était belle, avec la tenue du Salon du livre, de demander à quelques auteurs de polars aux styles variés de nous donner leur point de vue personnel sur le genre et l’approche qu’ils ont choisis d’adopter. Interrogatoire.

Chacun dans leur créneau, ils donnent à eux trois une bonne idée de l’étendue du spectre du roman policier, de Kathy Reichs (Déjà Dead), dont la narratrice-héroïne partage le métier d’anthropologue judiciaire, ce qui confère à ses investigations une crédibilité toute empirique, à Jean-Jacques Pelletier (L’Argent du monde), dont les trames complexes et tentaculaires s’avèrent aussi enlevantes que minutieusement structurées, en passant par Jacques Côté (Nébulosité croissante en fin de journée) qui, en campant ses intrigues dans des lieux connus, peuplés de personnages familiers, induit chez le lecteur un vif sentiment de proximité. Nous leur avons donc demandé de nous parler de la situation du polar et du rapport qu’ils entretiennent avec ce dernier. Témoins littéraires.

Jacques Côté
Le Rouge idéal
Éditions Alire, 2002, 429 p.

"Les dernières poches de résistance face au roman policier, en raison d’un certain snobisme littéraire, tombent peu à peu. Le genre s’établit en force au Québec et les auteurs d’ici prennent leur place. Comme l’affirmait Laurent Laplante au dernier Salon du livre de Montréal, le roman policier n’est pas un sous-produit culturel. Il demande souvent des recherches exhaustives et permet de dire beaucoup sur la nature humaine. Et rien n’empêche l’écrivain de se payer un gueuleton stylistique et formel.

"Au départ, j’étais plutôt tiède face au roman policier, jusqu’au jour où ma blonde m’a fait lire Ed McBain. Une belle découverte! J’étais fatigué de la littérature nombriliste. Sachant que j’étais devenu boulimique de littérature policière, Jean Pettigrew, des éditions Alire, m’a invité à lui écrire un roman policier. Des années ont passé. Puis un gros dégât d’eau chez moi m’a conduit au Motel Universel pendant quelques semaines. J’ai fait l’achat d’une vieille machine à écrire et j’y ai rédigé une partie de Nébulosité croissante en fin de journée.

"Mon approche personnelle en est une d’exploration. Il y a d’abord le plaisir du conteur qui élabore une intrigue complexe avec des personnages tangibles. Mais ça ne suffit pas. Il faut des thèmes qui portent à réfléchir. J’affectionne aussi le jeu de manipulation du lecteur qui est convié "à jouer" mon histoire. C’est très interactif. Le polar est idéal pour titiller tous les sens du lecteur, pour faire ressortir les peurs, le dégoût, l’excitation, la peine, la rage."

À paraître: Dr Wilfrid Derome: Une vie dans un roman noir

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Jean-Jacques Pelletier
La Femme trop tard

Éditions Alire, 2001, 480 p.

"Le polar québécois d’aujourd’hui se porte plutôt bien, je dirais. Au cours des dernières années, on a assisté à la publication de plusieurs bons romans policiers (Jacques Bissonnette, Christine Brouillette, Jacques Côté, Laurent Laplante, Maxime Houde, Malacci), au lancement d’une revue consacrée au polar et à la littérature noire (Alibis) ainsi qu’à la création d’un prix consacré à la littérature policière: le prix Saint-Pacome du roman policier. Autant d’indices que la littérature policière s’est inscrite dans l’ordre québécois des choses.

"Pour ma part, je ne fais pas de polar au sens classique du terme, c’est-à-dire dans une perspective micro (un crime particulier, un coupable, un détective). Ce qui m’intéresse, c’est la perspective macro (intrigues internationales, discours de pouvoir…). Dans mes romans, le polar est une dimension qui a son importance, c’est vrai, mais il y a aussi des aspects de science-fiction, de roman psychologique, de roman documentaire, d’humour, d’espionnage (ou d’intrigues internationales)… C’est ce genre de synthèse qui m’intéresse, même si la dimension polar est souvent la plus évidente.

"Disons que la forme de romans dans laquelle je suis à l’aise pour le moment me permet d’intégrer dans une trame narrative la diversité de mes intérêts et de mes préoccupations. J’aime créer des univers où je peux à la fois me préoccuper des enjeux planétaires et de la destinée de certains individus; des progrès de la science, des manipulations des sectes et de l’impact des discours de pouvoir. J’aime écrire des romans qui sont en prise de multiples façons sur la réalité sans cesser d’être des univers imaginaires pour lesquels les lecteurs pourront, je l’espère, se passionner."

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Kathy Reichs
Voyage fatal
Robert Laffont, 2002, 400 p.

"Les polars et les thrillers sont très populaires au Québec comme dans le reste du monde. À témoin, mes livres mettant en vedette Tempe Brennan ont été traduits dans plus de 20 langues à travers 29 pays.

Mais ce qui est nouveau dans le genre, à mon avis, c’est que ce type d’histoire a pris un virage scientifique. Dans les thrillers médico-légaux modernes, les crimes sont résolus par le concours de la science et non par déduction logique, comme c’est le cas dans plusieurs polars traditionnels. Ce nouvel intérêt pour la science se retrouve également à la télévision et au cinéma.

"De mon côté, je pars généralement d’un cas sur lequel j’ai travaillé. C’est ce qui me permet d’amorcer ma réflexion. Puis, je choisis la technique scientifique à laquelle je désire recourir (ADN, analyse sanguine, d’empreinte dentaire, etc.), avant d’élaborer une intrigue à partir des faits, tout en changeant les détails ayant trait au cas original (noms, lieux, dates, etc.), qui agissent surtout comme catalyseurs.

"[Il faut dire que] je suis une scientifique avant d’être une auteure. Depuis que je travaille sur le terrain, c’est ce que je connais: les scènes de crime, les laboratoires, les salles d’autopsie… Il ne m’est donc jamais passé par la tête d’écrire autre chose que des polars."