Robert Capa : Guerre et amour
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Robert Capa : Guerre et amour

L’offensive contre l’Irak n’était vieille que de trois semaines qu’elle avait déjà coûté la vie à 12 reporters et caméramans, rappelant le tragique prix à payer pour une couverture médiatique rapprochée des conflits armés. Mais comme aimait à le clamer le légendaire photographe de guerre Robert Capa: "Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près."

"Le souhait le plus fervent du photographe de guerre est d’être au chômage."

Robert Capa

L’offensive contre l’Irak n’était vieille que de trois semaines qu’elle avait déjà coûté la vie à 12 reporters et caméramans, rappelant le tragique prix à payer pour une couverture médiatique rapprochée des conflits armés. Mais comme aimait à le clamer le légendaire photographe de guerre Robert Capa: "Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près." Lui-même se jetait volontiers dans le feu de l’action, sautant en parachute avec les troupes aéroportées, seul photographe à débarquer en 1944 avec la première vague de soldats alliés dans le carnage d’Omaha Beach. Robert Capa périt comme il avait vécu, fauché par une mine dans la fleur de l’âge, à 41 ans, au début de la guerre d’Indochine. Le cinquième conflit de son existence digne d’un météore.

La biographie du journaliste anglais Alex Kershaw retrace l’itinéraire tumultueux d’un être fascinant qui avait tout du personnage romanesque: beau, charmeur, aventurier et talentueux, mondain et insaisissable. Un personnage fabriqué, d’ailleurs. Né André Friedmann en 1913, le jeune juif quitte à 18 ans la Hongrie fasciste, devient photographe à Berlin, où son premier sujet se nomme Léon Trotski, et se réinvente à Paris, où il commence à vendre ses clichés sous la signature de Robert Capa, pseudo-riche photographe américain.

Mais c’est la guerre d’Espagne qui fait sa renommée, et surtout une photo de milicien républicain saisi en pleine mort (mais son authenticité est mise en doute par certains). "Ce cliché a valu à André Friedmann de devenir Robert Capa, un photographe américain si audacieux, si décidé à approcher l’intensité de la guerre au plus près, qu’il avait été capable de graver sur la pellicule l’instant même de la mort d’un homme." La proximité de Capa est souvent aussi idéologique. Dans la démocratie espagnole assiégée par Franco, la guerre a encore un parfum exaltant de lutte juste, et Capa, loin des controverses autour de la neutralité des journalistes "embedded", épouse sans réserve la cause républicaine. Il lutte contre le fascisme à coups de pellicule – quitte à mettre en scène une fausse victoire républicaine!

Blood and Champagne, le titre original de cette bio bien documentée et truffée d’anecdotes, traduit les deux versants contradictoires de la vie de Capa: les champs de bataille et le glamour, le tango avec la mort dont il a "besoin pour être lui-même", et la vie que ce flambeur, amateur de bonne chère, de jeu et de la gent féminine, aime passionnément. Le parcours du cofondateur de la célèbre agence Magnum (dont il dilapidait volontiers les fonds au jeu) se lit parfois comme une brillante chronique mondaine. Capa boit avec Hemingway, joue au poker avec John Huston, s’embarque avec John Steinbeck pour un douteux voyage de presse en URSS stalinienne, noue une liaison passionnée avec la star Ingrid Bergman, qu’il refusera pourtant d’épouser. Car après la mort de la photographe Gerda Taro, "l’amour de sa vie", durant la guerre espagnole, le don Juan papillonnera d’une beauté à l’autre. L’apatride restera un nomade du coeur, poussé par une "perpétuelle fuite en avant".

Sous le vernis joyeux du séducteur, transparaissait parfois un autre Capa, désespéré, marqué par l’horreur de tout ce qu’il avait vu. Un tragique destin qui finira par le rattraper. Mais sans le nécessaire témoignage de ses semblables, on ne verrait de la guerre que ce défilé de tanks et ces feux d’artifice luminescents que les armées veulent bien nous montrer.

Robert Capa
L’homme qui jouait avec la vie
d’Alex Kershaw
Traduit de l’anglais par Daniel Roche
Robert Laffont, 2003, 370 p.

L'homme qui jouait avec la vie
L’homme qui jouait avec la vie
Alex Kershaw