Les Deux Chanoines : Double identité
Ce cher chanoine Groulx! Déjà qu’on ne savait pas trop quoi faire d’un seul bonhomme dans son genre, voilà qu’il y en aurait deux!
Ce cher chanoine Groulx! Déjà qu’on ne savait pas trop quoi faire d’un seul bonhomme dans son genre, voilà qu’il y en aurait deux!
Les Deux Chanoines, de Gérard Bouchard, livre les conclusions d’une entreprise des plus louables: afin de déterminer une fois pour toutes si les détracteurs de Lionel Groulx ont tort ou raison de l’accuser d’antisémitisme, de fascisme et de racisme, allons voir ce qu’il a écrit sur ces questions.
Chapitre après chapitre, Les Deux Chanoines retrace le déploiement des principaux aspects de la pensée de Groulx au sein de l’énorme masse de livres et d’articles qu’il a pu commettre. On constate alors que le chanoine a été carrément raciste par moments, tandis qu’à d’autres, il a fait l’éloge de la diversité ethnoculturelle. Il a parfois pesté avec fureur contre les juifs, souvent pour aussitôt se mettre à vanter leur attachement à leur communauté. Fasciste, il l’était: selon Groulx, ce sont "les esprits faibles qui croient à la démocratie comme ils ne croient ni à l’Église ni au Christ, [qui] éprouvent d[e l]’horreur pour le fascisme, quelque forme qu’il revête". Pourtant, il ne s’est pas gêné pour critiquer de temps à autre les agissements de Franco et de Mussolini.
Indépendantiste ou fédéraliste? Groulx "fut l’un et l’autre, ou ni l’un ni l’autre, et bien autre chose encore", constate Bouchard, et la formule vaut pour à peu près toutes les prises de positions du chanoine. La seule chose, en fin de compte, qui puisse peser d’un certain poids dans un acte d’accusation, c’est le fait qu’il "n’a jamais songé à se rétracter sur quoi que ce soit". La démonstration des Deux Chanoines est convaincante: l’oeuvre de Groulx est pétrie de contradictions qui semblent être l’écho d’une société qui ne savait pas trop ce qu’elle était, ni ce qu’elle devait être. Lionel Groulx a été "le porte-parole d’une société […] qui n’arrivait pas à se penser clairement".
Il serait cependant possible d’expliquer la chose autrement. Le problème tient éventuellement au simple fait que le chanoine était avant tout un nationaliste. L’expression anglaise veut que politics make strange bed-fellows. Le nationalisme fait d’encore plus "étranges compagnons de lit". On l’a encore entendu au cours de la dernière campagne électorale: gauche ou droite, c’est pas grave, faut d’abord s’bâtir un pays, ‘stie! Sur la route de l’indépendance, il importe peu de tourner à droite ou à gauche, sauf qu’au bout du compte, ça conduit peut-être un peu nulle part… Comme la pensée de Groulx, par ailleurs, qui n’a pas abouti à grand-chose: il ne se trouve plus personne, même parmi ses défenseurs, pour affirmer sérieusement qu’elle a conservé la moindre actualité!
Les Deux Chanoines a le grand intérêt de présenter un portrait honnête de l’oeuvre de Lionel Groulx: de quoi assainir les débats! Et se convaincre que le problème de la dénomination de la station de métro Lionel-Groulx est, en fin de compte, tout à fait à l’image des contradictions qui traversent la pensée du chanoine: s’il n’y a pas vraiment de raison de changer l’appellation, on a tout de même fait une erreur en lui donnant ce nom.
Les Deux Chanoines
Contradiction et ambivalence dans la pensée de Lionel Groulx
de Gérard Bouchard
Éd. Boréal, 2003, 313 p.