Gaston Miron : La démarche à l’amour
Alors que les Éditions de l’Hexagone célèbrent leur 50e anniversaire, leur plus célèbre cofondateur revit à travers deux publications: Gaston Miron, le forcené magnifique et Poèmes épars, un assemblage de textes périphériques à L’Homme rapaillé.
On n’entre pas dans les poèmes de Gaston Miron comme dans un lieu de villégiature. L’homme était exigeant, sa poésie ne l’est pas moins, faisant écho à la fois au drame du destin individuel et au devenir de l’être humain dans ce qu’il porte d’universel. Ouvre plurielle, jamais fixée sinon par la mort de l’auteur, en 1996, elle se laisse fréquenter longtemps, délivrant peu à peu ses sucs.
Gaston Miron, le forcené magnifique fait désormais partie des quelques livres – encore peu nombreux – qui éclairent véritablement la démarche du poète. Cet essai biographique de Yannick Gasquy-Resch, enseignante à la Sorbonne et passionnée de littérature québécoise, ne fait pas qu’effleurer l’écriture mironnienne. En revisitant l’enfance de l’écrivain originaire de Saint-Agathe-des-Monts, dans les Laurentides, l’essayiste explore le rapport à la terre de Gaston Miron, son attachement à la forêt d’ici, puis ses référents culturels premiers.
Au fil de chapitres succincts et captivants, elle aborde la découverte de la "grand’ville", les frustrations d’un jeune homme prenant conscience du clivage entre les Canadiens-français et la classe dirigeante, alors quasi exclusivement canadienne-anglaise. L’auteure montre comment le projet de Gaston Miron s’enracine dans le désir de donner la parole à son grand-père et \tant d’autres analphabètes, auxquels il veut permettre de laisser une trace. On voit ensuite ces préoccupations socio-historiques se muer en appel du pays, qui traversera toute sa poésie. En parallèle, l’essayiste met en lumière l’écho chez le poète des euphories comme des déceptions amoureuses, fréquentes, et propose certains parallèles féconds, avec l’oeuvre de l’écrivain antillais Aimé Césaire, par exemple, devant laquelle Miron lui-même avait parlé d’une étonnante "coïncidence des démarches".
Remonter aux sources de L’Homme rapaillé en magnifie le contenu. Il ne s’agit pas, bien sûr, de percer le secret, mais de percevoir dans quelle réalité culturelle et quotidienne ont jailli des images d’une telle fulgurance; de comprendre de quoi sont faits les reliefs complètement inattendus de la métaphore mironnienne.
Gasquy-Resch livre un travail sensible et nécessaire, évidemment farci de citations et qui, sans le doigté de l’auteure, aurait pu décourager la lecture. Assorti d’un "petit glossaire mironnien", Le forcené magnifique fait résonner plus fort encore les mots de cette poésie poignante, "Entre haleine et syncopes/Ce faible souffle phénix d’un homme cerné d’irréel".
Les rapailleurs de poèmes
Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule: pour souligner le 50e anniversaire de la maison fondée en 1953 par Gaston Miron, Gilles Carle et quelques autres, Pierre Nepveu et Marie-Andrée Beaudet ont rassemblé plusieurs poèmes et fragments publiés en revue ou encore tout à fait inédits, écrits entre 1947 et 1995.
On sait le soin mis par Gaston Miron à édifier le livre de sa vie, L’Homme rapaillé ayant été augmenté et remanié sans relâche entre 1970 et 1994. Nul besoin d’une grande analyse littéraire pour conclure que ces textes, le poète ne souhaitait pas les insérer à son oeuvre. Pas encore, du moins. Certains auraient-ils abouti dans les pages de L’Homme rapaillé, une fois l’auteur pleinement satisfait? Le doute suffit à rendre ces Poèmes épars dignes d’intérêt, d’autant qu’à la lecture, on est une fois de plus saisi par la puissance d’évocation des images, bien que l’ensemble ait nettement moins d’ampleur, par exemple, que La marche à l’amour, l’une des grandes suites de l’oeuvre.
Le travail est documenté, soigné, précédé d’une présentation de Pierre Nepveu qui vaut l’achat du livre à elle seule. Nepveu y établit des recoupements entre les fragments publiés puis retouchés, levant un peu le voile sur la manière dont le poète défrichait chaque texte comme un champ, espace fait de "vers en souffrance" et façonné inlassablement afin de correspondre chaque jour un peu mieux à la vision initiale.
Bien sûr, plusieurs trouvent que Gaston Miron prend beaucoup de place dans le paysage. Bien sûr, il y a d’autres poètes de la même époque et d’aujourd’hui qui méritent un éclairage. Mais ici, le phénomène littéraire n’a rien d’une construction, et on ne peut faire autrement que d’écouter, comme l’écrit Pierre Nepveu dans sa préface, ce "quelque chose qui relève de ce qui est inexplicable en toute poésie, en ce surgissement qui la caractérise et qui, chez le poète de L’Homme rapaillé, avait la puissance d’une lame de fond."
Gaston Miron, le forcené magnifique
de Yannick Gasquy-Resch
Éd. Hurtubise HMH, 2003, 158 p.
Poèmes épars
préparé par Marie-Andrée Beaudet et Pierre Nepveu
Éd. de l’Hexagone, 2003, 136 p.