Les Chiens de Riga/Comédia Infantil : Sortie en couple
Deux romans, l’un policier, l’autre non, qui nous font voyager du nord au sud, de la froideur à la touffeur, de la répression à la misère, s’attachant à des êtres qui luttent héroïquement pour leur survie, et pour pouvoir continuer à rêver dans des situations désespérantes. Deux livres qui démontrent la large palette du talent de Henning Mankell.
Deux romans, l’un policier, l’autre non, qui nous font voyager du nord au sud, de la froideur à la touffeur, de la répression à la misère, s’attachant à des êtres qui luttent héroïquement pour leur survie, et pour pouvoir continuer à rêver dans des situations désespérantes. Deux livres qui démontrent la large palette du talent de Henning Mankell.
Le premier appartient à la série des enquêtes de Kurt Wallander, qui a fait la renommée de l’auteur des Morts de la Saint-Jean. Publié en 1992, avant donc Le Guerrier solitaire, La Cinquième Femme et compagnie, Les Chiens de Riga remonte enfin aux sources de l’amour de l’inspecteur suédois pour la Lettonne Baiba, mentionnée dans les romans subséquents.
L’intrigue débute par l’énigmatique découverte de deux cadavres dans un canot sur une plage de la Scanie. Les victimes étant identifiées comme des mafieux lettons d’origine russe, Riga dépêche à Ystad le major Liepa, un enquêteur compétent mais peu loquace, qui sera assassiné sitôt de retour chez lui. Au tour alors de Wallander de prendre le chemin de la république balte troublée, où il découvre une société plongée dans la noirceur de l’oppression.
Le policier se retrouve perdu dans un pays dont il ignore la langue et les codes, un univers post-Guerre froide (entre la chute du Mur et l’indépendance) paranoïaque, où chaque client d’hôtel peut être un espion, où il est difficile de discerner les amis des ennemis, et de savoir sous quel manteau se cache la vérité.
Malgré les rares invraisemblances qui parsèment l’intrigue, Mankell nous entraîne dans une angoissante et captivante traque où criminalité et politique se mêlent, peignant très efficacement une atmosphère sinistre et dominée par la peur.
Et comme d’habitude, l’une des grandes réussites du roman tient à la personnalité de l’inspecteur Wallander. L’auteur fouille en profondeur les doutes et les inquiétudes de cet honnête homme, tenace mais mélancolique, dépassé par la violence qu’il voit autour de lui, que son humanité et sa vulnérabilité rendent si attachant.
Vues d’Afrique
Un peu construit à la manière d’un suspense (qui a tué Nelio?), Comédia Infantil comporte aussi une mort mystérieuse. Mais là s’arrête la comparaison: cette fable africaine montre une tout autre facette du talent d’Henning Mankell, enracinée dans l’autre continent où vit et s’inspire l’auteur suédois, qui dirige un théâtre à Maputo, au Mozambique.
Le roman retrace le bref destin d’un gamin des rues de 10 ans, tel que rapporté par le témoin de sa lente agonie, un boulanger qui a installé sur le toit d’un théâtre l’enfant blessé par balles. Durant neuf nuits, Nelio raconte donc comment il a échappé aux hordes de bandits qui ont mis son village à feu et à sang, pour échouer dans cette ville où il partage le pauvre sort des enfants des rues. "Ils avaient en commun de ne rien posséder, d’être nés sans être désirés, et d’avoir été précipités dans la misère. Leur but était le même: survivre." Le roman fait vivre de touchante manière cette petite bande d’enfants blessés par la perte ou la violence, qui survivent grâce à la mendicité et à la solidarité, qui n’ont pas tué leurs rêves, que Nelio, sorte de figure messianique réputée d’une sagesse exceptionnelle, s’emploie à concrétiser, grâce au pouvoir de l’imagination.
Raconté d’une façon simple et très belle, Comédia Infantil s’installe entre le conte dont il possède les couleurs, et l’horreur réaliste propre à un territoire dévasté par la misère et la violence, les colonisateurs et les dictateurs. S’il faut trouver un point commun entre ces deux oeuvres de Henning Mankell, c’est dans la description d’un monde "sous l’emprise du mal", et des êtres qui y opposent malgré tout la résistance de leur humanité.
Les Chiens de Riga
de Henning Mankell
Traduit du suédois par Anna Gibson
Seuil
2003, 267 p.
Comédia Infantil
de Henning Mankell
Traduit du suédois par Agneta Ségol et Pascale Brick-Aïda
Seuil
2003, 232 p.