Lise Demers : Le Poids des choses ordinaires
Depuis La Leçon de botanique (Lanctôt éditeur, 1996), Doubles Vies (1997) et Gueusaille (1999), la prose de Lise Demers nous transporte; et on la suit encore une fois, conquis, dans Le Poids des choses ordinaires, premier ouvrage à paraître aux Éditions Sémaphore.
Depuis La Leçon de botanique (Lanctôt éditeur, 1996), Doubles Vies (1997) et Gueusaille (1999), la prose de Lise Demers nous transporte; et on la suit encore une fois, conquis, dans Le Poids des choses ordinaires, premier ouvrage à paraître aux Éditions Sémaphore.
Lise Demers nous entraîne dans les coulisses du pouvoir – amoureux, médiatique, financier, intellectuel et politique – à travers quatre amis liés par un secret d’adolescence. L’action se déroule sur une journée et, tour à tour, les personnages monologuent, dialoguent et tentent d’agir. Le thème de l’individualisme contemporain aux prises avec les fêlures abyssales de l’être émerge du récit polyphonique des quatre protagonistes.
Le premier chapitre s’ouvre sur un sombre rappel du passé que Marceau (le professeur d’université) aimerait oublier en cette journée de cérémonie honorant ses 25 années de carrière, symbolisées par une plaque de bronze que lui remettra Vincent (le politicien), au nom du gouvernement. Mais tous les deux se sentent menacés par un troisième personnage (le journaliste). Inlassablement en quête de justice sociale et de Vérité, Édouard s’apprête à faire des révélations publiques sur des malversations et autres collusions qui pourraient déstabiliser le gouvernement en place et nuire à leurs propres position et image sociale. Catherine (la comédienne), la mascotte de la bande, tente de savoir quel rôle vont alors jouer ses acolytes. Si elle conserve un lien d’amitié avec la bande disloquée mais aux destins enchevêtrés, les sentiments des autres sont au service de leurs intérêts respectifs.
Vincent dit ceci à propos de Marceau: "Imbu d’héroïsme criard, comme ce jour-là à la ferme à Blondeau où il ne lui suffisait pas d’avoir vu et entendu le même drame que nous, il fallait qu’il s’invente une histoire à ressasser, en autant qu’il se sente non pas simple garçon d’écurie mais égal sinon supérieur à nous." Quant au drame en question, Marceau est formel: "Aujourd’hui comme hier, je maintiens qu’il n’est pas le déclencheur de ce que nous sommes devenus, mais le révélateur de ce que nous étions." Pourtant, la scène traumatique et violente de "la ferme à Blondeau" court en filigrane dans la trame du récit, telle une ombre fantôme de jouissance interdite. Si cet événement n’a pas scellé l’amitié des quatre, il a scellé leur silence. Que craignent-ils de voir éclater lors de la conférence de presse d’Édouard? Cette question nous traverse tout au long du roman qui avance par vagues successives, entre flash-back et anticipation, jusqu’au rebondissement final.
Sous une plume riche et sans fioritures, Demers sait mêler fiction et contexte sociopolitique – on imagine quel politicien se cache sous les traits du Tyran. Elle marie avec brio la psychologie des personnages et l’architecture du récit dans lequel chacun compose avec sa conscience, révoltée ou non, et son rapport au pouvoir. Une lecture qui bouscule et questionne la soif de pouvoir, incompatible avec celle de Vérité. Le passé, mis en veilleuse, s’apparente au poids des choses ordinaires. Mais jamais il ne dit son dernier mot. Lise Demers non plus et c’est tant mieux. Éd. Sémaphore, 2003, 183 p.