Les biographies de l’été : La vie, la vie
Trois moustachus, une journaliste, un cinéaste: qu’ont-ils en commun? D’avoir vécu. Biographie, quand tu nous tiens…
Autoportrait
De Claude Berri
Un premier livre pour l’homme à tout faire du cinéma français, et toujours un unique sujet: lui-même. Claude Beri Langman, fils de fourreurs parisiens, l’homme au visage si triste, a eu l’envie thérapeutique de se raconter: le bouquin pourrait être lugubre, il ne l’est pas. Fascinant, au contraire. On suit les allers-retours dans la mémoire d’un homme abîmé par la dépression (suicide de sa femme, mort d’un fils) mais qui ne verse pas dans le sentimentalisme, et la progression professionnelle exceptionnelle de cet acteur (Le Blé en herbe), réalisateur (Germinal, Jean de Florette), scénariste (L’Enfance nue) et producteur (les Astérix, La Reine Margot, Tess), qui se confond avec un demi-siècle de cinéma français. Beau-frère de Maurice Pialat, ami de Coluche, grand pote de François Truffaut; c’est un peu le musée des ombres que cet autoportrait. Mais on retient la rencontre d’un dilettante qui avait envie de créer et un moment dans l’histoire cinématographique où il y avait encore des forêts non explorées. À lire, rien que pour les anecdotes sur Michel Simon… Éditions Léo Scheer, 2003, 250 p. (J. Ruer)
Staline, agent du tsar
De Roman Brackman
Les biographies de l’un des plus grands criminels du 20e siècle ont beau fourmiller, personne n’avait encore avancé qu’en plus d’assassiner des millions de Russes durant son règne, le petit père des peuples avait aussi trahi toute idéologie et ses propres camarades révolutionnaires pour s’arroger un pouvoir incontestable. Staline fut-il agent double du tsar avant et durant la révolution? Envoya-t-il ses amis au poteau en les dénonçant? En examinant toute l’énergie que le dictateur employa à cacher son passé de révolutionnaire, ce livre solide, fort bien écrit, extrêmement documenté et passionnant comme une enquête policière le démontre sans l’ombre d’un doute. Les ombres grimaçantes des Heydrich, Molotov, Joukov et Hitler qui se profilent sur fond de guerre mondiale tout au long de ces 500 pages montrent bien que si le décor est connu, il semble qu’il reste quelques coins particulièrement répugnants à explorer au nom des morts, sinon de la vérité historique… L’Archipel, 2003, 523 p. (F. Desmeules)
Dali, l’héritage infernal
De Robert Descharnes
Que Robert Descharnes, spécialiste mondial du dingo de Perpignan, se penche finalement sur Salvador Dali dans un livre serait du plus grand intérêt si on ne sentait justement à chaque page l’intérêt de Descharnes dépasser celui de son sujet. L’auteur, par le biais d’un journaliste fantoche, s’interviewe lui-même sur 250 pages dont 30, sans aucune perspective et peu de recul pour le lecteur, empestent le règlement de comptes avec ses légataires. On a trahi Dali pour des raisons mercantiles, les gestionnaires mercantiles de sa fondation masquent tout un pan de l’oeuvre et du génie gênant du maître au profit d’une image plus polie. C’est fort possible, mais probablement peu intéressant pour ses admirateurs inconditionnels. Car quand on sait toute l’énergie qu’Avida Dollar (son anagramme favori) mit à mystifier ses admirateurs et à engranger les billets verts, au point de signer des rames de papier blanc sur lesquelles on ronéotypait ses oeuvres, on peut simplement se dire qu’après tout, en exploitant sa gloire posthume, c’est un peu justement son oeuvre – moralement infecte – qui revit. Ramsay/La marge, 2002, 254 p. (F. Desmeules)
Déjà demain
De Françoise Giroud
Le dernier tome posthume du journal de la brillante journaliste-écrivaine laisse franchement perplexe. Les banalités du quotidien inhérentes à ce genre d’exercice s’y disputent les commérages, incompréhensibles pour le non-initié, à propos du jet-set intellectuel parisien. L’énumération répétée des problèmes physiques propres à l’approche du grand âge n’y est pas associée, comme chez Mauriac, à une piste de réflexion sur le sens de l’existence qui puisse dépasser la coquetterie. C’est cependant là que l’auteure, qui n’est jamais meilleure que lorsqu’elle dédramatise les petites tragédies, se surpasse; mais cette simplicité, quand elle est appliquée à la politique, rend ses réflexions d’une banalité confondante et dépassée. ("On ne peut comparer le 11 septembre qu’avec la bombe atomique…") Le plaisir de vivre qui ponctue ces courtes réflexions reste cependant touchant, mais on peut se demander, au nom de l’affection qu’on lui porte, si l’auteure décédée accidentellement a eu le temps de polir ces pages écrites à chaud et n’a pas été quelque peu trahie par leur publication. Fayard, 2003, 420 p. (F. Desmeules)
Jean Ferrat, biographie
De Jean-Dominique Brière
Le journaliste musical Jean-Dominique Brière s’est engagé sur une pente glissante et terne en entamant une biographie de Jean Ferrat qui ne contient aucune ligne d’entrevue originale, donc bien peu de choses à se mettre sous la dent que l’amateur éclairé ne connaisse déjà. Le fait bien connu que Ferrat soit un personnage secret et méfiant, vivant presque en réclusion depuis sept ans, n’arrange pas les choses. Rien dans cet ouvrage ne vient donc éclairer l’ambiguïté entre la perception publique de ses chansons et les positions politiques radicales de Ferrat, défendues au péril de sa carrière. Rien ne vient éclairer la dichotomie entre cette voix de crooner de supermarché et ce discours écologiste, communiste, rassembleur et contestataire avant la lettre. Le bref et malhabile parcours du chanteur sur la scène ne sera pas expliqué non plus, et on sort de ce livre très flatteur et lénifiant avec le sentiment d’avoir rencontré le prototype des jeunesses chrétiennes des années 50, plutôt que le seul auteur-compositeur qui sut concilier poétique, politique et popularité dans l’histoire de la chanson française. Dommage. L’Archipel, 2003, 257 p. (F. Desmeules)