La Vie immobile : La main dans le sac!
Jean-Marie Bioteau
La Vie immobile
De Jean-Marie Bioteau on connaît peu de chose, sinon qu’il est réalisateur, photographe et comédien. La Vie immobile est son premier roman. "Au commencement était la voix…" pourrait ouvrir cette histoire dont le protagoniste – toujours au "il" – est ensorcelé par les voix de femmes qui l’appellent au centre téléphonique bancaire où il travaille. Une fois la proie ciblée, commence alors le travail, parfois long, de filature de la propriétaire de cette voix singulière, de repérage des lieux qu’elle fréquente, suivi d’une "incoercible obsession": voler son sac. Le ton du récit est donné dès la subtilisation du premier sac: "Dans le métro, le sac rouge palpitait sous sa veste. Un embryon dans son ventre. (…) Riche d’une soudaine exubérance, son esprit l’entraîna à rebours du temps jusqu’au ventre doux et chaud de sa mère." Plonger ses mains dans ce sac au trou béant est un retour dans les entrailles de la mère et l’extraction du contenu est un voyage dans l’univers le plus intime de la femme. La fouille et la mise en place de chaque objet s’apparentent aux travaux d’un archéologue qui opère avec méticulosité, précision, méthode, application et solennité. C’est ce qu’il appelle "la vie immobile", traduction de still life, qu’il préfère à "nature morte". Car son "entreprise" consiste à "figer le cours d’une vie", le temps de son exploration. Parmi les objets qu’il photographie et répertorie avec minutie dans un carnet, se trouve une lettre adressée à Laura, la propriétaire du premier sac, écrite par son père quand elle était enfant. Immédiatement, des souvenirs d’enfance liés au sentiment d’abandon et de solitude habitent le protagoniste.
Chaque chapitre suit la même linéarité dans les vols successifs de sacs que le fétichiste – il s’agit bien de fétichisme – commet auprès de sept femmes, lui qui avait sept soeurs dont il visitait les sacs quand il était petit. Ces femmes sont toutes différentes, certes, mais un point les unit: dans chaque sac se trouvent des photos et des écrits sous forme de lettres, articles de journaux, extraits de livres, d’entrevues, journaux intimes… Ces visages et ces écrits le propulsent dans leurs univers qui, irrémédiablement, le ramènent au sien. Jean-Marie Bioteau est doté d’un bon sens du casting imaginaire, et les transcriptions à l’intérieur du récit méritent une mention particulière. Mais au-delà du fantasme du vol de sac comme dispositif de survie, il y a l’homme ankylosé de souvenirs dont les images du présent superposées à celles, éculées, de l’enfance gâchent le plaisir du lecteur. Le récit auto-interprétatif est trop transparent et l’auteur sait d’avance ce qu’il va écrire et pourquoi. On lui lève notre chapeau (mou) de vouloir mieux comprendre l’univers féminin, mais quelle femme aime qu’on lui révèle les détours, fussent-ils littéraires, que la vérité utilise pour arriver à ses fins de séduction? Triptyque, 2003, 179 p.