Constat d’accident et autres textes : Hasards ou coïncidences
Dans une plaquette pour le moins hétéroclite, le plus français des écrivains américains réagit aux attentats de New York.
La déflagration du 11 septembre 2001 a résonné fort dans la littérature. On ne compte plus les parutions y faisant écho: essais de politique-fiction, témoignages de pompiers devenus héros, élucubrations d’illuminés sur d’improbables complots ourdis par le Pentagone, ou encore, plus près de nous, recueil de poèmes inspirés par l’hécatombe (Le 11 septembre des poètes du Québec, chez Trait d’union). L’une des réponses les plus originales aux événements est certainement celle de Paul Auster dans son plus récent livre, Constat d’accident et autres textes. Réponse bien indirecte, en fait, ce petit bouquin dont on ne fait qu’une bouchée relevant plus du calepin de notes que du discours articulé. Quoique.
Récits, lettres, préfaces, notes éparses remontant jusqu’à 1967: tous les genres sont prétextes, pour Paul Auster, à dépeindre le genre humain, ses grandeurs comme sa férocité. Il nous présente d’abord une série de coïncidences à peine croyables dans lesquelles il a été acteur ou témoin, dont celle-ci: un de ses amis, chargé par un musée parisien de préparer une exposition Matisse, veut rassembler tous les tableaux d’une même période. Il y parvient, à une exception près. En effet, un tableau demeure introuvable, même au terme d’années de recherches. Il se trouve que par un hasard inouï, le tableau en question se trouvait chez une dame habitant juste en dessous de la chambre d’hôtel qu’il occupait toujours lors de ses passages à New York. Le genre de choses qu’on n’invente pas. "Ma vie est remplie d’une quantité d’événements bizarres de ce genre et j’ai beau essayer de m’en débarrasser, je n’y arrive pas. Qu’y a-t-il donc en ce monde qui continue à m’impliquer dans de pareilles absurdités?" s’interroge Paul Auster.
Il nous livre ensuite un vibrant hommage à Joseph Joubert, personnage aussi brillant que méconnu de l’histoire littéraire française, ce qui n’est pas peu dire. Cet ami de Chateaubriand, dont les écrits ne sont parus qu’après sa mort, apparaît comme l’un des esprits les plus originaux du 18e siècle. Plus loin, voilà une ode à la tolérance, sous la forme d’un message – authentique – adressé en 1995 au gouverneur de Pennsylvanie. L’écrivain faisait alors partie d’un groupe demandant que l’on gracie Mumia Abu-Jamal, condamné à la peine de mort au terme d’un procès truffé d’irrégularités.
Si les premiers textes du livre n’ont pour but, au-delà de leur indiscutable charme, que de rendre compte des moeurs humaines ou encore des contrastes de la société américaine, les derniers traitent directement du 11 septembre, du désespoir qui a envahi l’auteur, New-Yorkais jusqu’au bout des ongles. Ce dernier pourfend au passage la contre-attaque de George W. Bush, critiquant les vues limitées de ses politiques et soulignant à quel point les New-Yorkais se sentent incompris de lui. Il nous transmet surtout l’émotion d’un père dont la fille, moins d’une heure avant les crashs mortels, passait sous les tours jumelles en métro, en route vers sa première journée à l’école secondaire.
Paul Auster aime son pays, et particulièrement sa ville. Même meurtrie. Autant que puisse l’aimer quelqu’un de foncièrement lucide et aucunement dupe des travers de sa société. Il exprime avec ferveur le paradoxe dans l’idée de prendre la Big Apple pour cible: "Ce credo constitue le fondement de la vie américaine: foi dans la dignité de l’individu, acceptation tolérante de nos différences culturelles et religieuses. Même si, bien souvent, nous manquons à nos idéaux, c’est là le meilleur de l’Amérique – ces principes qui sont à New York une réalité constante et quotidienne."
L’auteur de Léviathan et de L’Invention de la solitude nous sert un séduisant cocktail, avec tout le talent qu’on lui connaît de raconter, puis d’extrapoler; de puiser dans les détails d’une observation personnelle une pensée d’envergure universelle. Il nous donne à lire ce qui, entre deux bombes, fait la saveur de vivre.
Constat d’accident et autres textes
de Paul Auster
Éditions Actes Sud/Leméac, 2003, 112 p.