Le Carnaval des fêtes : Vers éternels
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Le Carnaval des fêtes : Vers éternels

Claire Varin, spécialiste de l’écrivaine brésilienne Clarice Lispector à qui elle a consacré deux essais, Clarice Lispector – Rencontres brésiliennes et Langues de feu (Éd. Trois, 1987 et 1990), écrit aussi des romans: Profession: Indien (1996) et Clair-obscur à Rio (1998), qui raconte l’histoire d’une femme en quête spirituelle attirée par un faux gourou. Avec Le Carnaval des fêtes, l’auteure choisit de s’exprimer dans le genre court avec 13 nouvelles, 13 voyages ayant pour cadre Rio, Paris et Montréal. Ainsi fréquente-t-on des touristes sur un Bateau-mouche naviguant dans l’échancrure de la baie de Rio un soir de Nouvel An, lesquels voient leur destin chavirer dans les eaux chaudes de Rio pendant qu’à quelques kilomètres de là, Copacabana clame son Feliz Ano Novo! Dans Rescapées du carnaval, deux copines échappent à "l’incontrôlable fureur d’un dimanche de carnaval" en prenant un bus dans lequel des adolescents agressent des passagers, "mais elles, aucun des fuyards ne les avait bousculées ni même effleurées en se ruant vers l’extérieur. Comme protégées par un rideau magique". Comme parées "d’un costume de carnaval inusité". Au fil de ces nouvelles brèves, le lecteur croise une jeune femme hospitalisée après s’être enfoncé un clou dans le pied (Clouée sur sa croix); une autre se trouve en entretien privé avec un maître spirituel de 80 ans aux manières irrévérencieuses (L’Ascension et la Chute); le célèbre Victor Hugo s’immisce dans les rêves d’une femme dont la visite lui inspire des poèmes; un jeune Iranien informe une écrivaine publique de sa décision de s’immoler car "accablé d’être mésestimé à cause de la couleur de sa peau" qui lui donne des allures de terroriste… qu’il n’aura plus après avoir survécu, brûlé au troisième degré; une spécialiste en visualisation créatrice refuse que l’on publie son livre si la correctrice n’y inclut pas le passage de sa rencontre avec la Vierge. Julio fête les morts est la nouvelle la plus longue. Racontée au "je", la narratrice y relate sa liaison peu banale avec un Argentin exilé à Paris. "Avant même de nous dire nos prénoms, nous avions confessé tous deux être soucieux de Dieu et de l’impossible. Nous essayions de surnager au-delà des religions, des sectes et des nations, surfant néanmoins sur les vagues de l’occultisme. Nous savions tous deux que c’est l’ignorance qui est paranormale, pas les phénomènes que nous vivons." C’est ici que se déploie tout le talent de Claire Varin, dont la forte inclination pour les éléments de l’éternel humain flirte avec la dimension ésotérique de l’individu. Ses nouvelles ressemblent à des fables, empreintes d’une certaine morale, ou plutôt d’une méditation morale. Dans le fil du récit, le réel est présent et solide, mais il accueille aussi des ombres, des visions, des rêveries, tout un réseau de signes qui traversent les personnages à leur insu. L’écriture de la romancière, nimbée de poésie et de lyrisme, s’anime par ce va-et-vient entre la stabilité du corps et l’instabilité étincelante de l’esprit humain. Claire Varin charme encore et en corps.

Le Carnaval des fêtes
De Claire Varin
Éditions Trois, 2003, 154 p.