Vie et mort d'un pédophile : Signe prédateur
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Vie et mort d’un pédophile : Signe prédateur

À la lecture des premières lignes de Vie et mort d’un pédophile, cinquième ouvrage de Bernard Lavoie, on veut refermer le livre au plus vite tant la nausée nous submerge. Mais une fois passé le dégoût des premières pages, on entame à tâtons le deuxième chapitre qui use de la rupture du flash-back, aux racines de l’histoire de Pierre, le narrateur. Et on est happé jusqu’au bout. Pierre est pédophile. Homme aux deux visages, pianiste réputé d’un côté et "prédateur sexuel qui chasse l’enfant comme un gibier" de l’autre. Tout a commencé à 13 ans, lorsqu’il se fait violer – sans résistance aucune – par Dimitri, son professeur de piano, qui "aime les petits garçons qui ressemblent à des filles". Les dés du destin sont jetés: "Je venais, sans le savoir, de faire mon entrée dans le monde sombre de la pédophilie comme gibier, et plus tard comme prédateur." De nombreux personnages se greffent à sa descente aux enfers, à commencer par le père Maurice, son "directeur spirituel au collège". Autant ce dernier est bourré de remords, autant Pierre, dans son rôle de victime, n’en a aucun: "Ma religion, c’était le plaisir, cette tempête en moi qui me libérait de toutes les tensions, écoles, cours de piano, Jeanne (sa mère), mon père absent." Chaque pas tourné vers cette soumission (consentante et jouissive) aux adultes le conduit tout droit vers l’habit de prédateur qu’il revêt très vite: "J’avais développé le concept mental, la réaction instinctive de penser qu’un enfant ne souffrait pas de mes abus, de mes agressions."

Faut dire qu’il a tout de l’abuseur "idéal": riche, beau, délicat et doux – ce qui ne dédouane pas le personnage. Mais il sait aussi que chaque abus est une bombe antipersonnelle posée sur le parcours miné de ses "proies", de ses "faons". Pour freiner ses bas instincts, Pierre va jusqu’à se laisser aimer par une femme qui a le malheur d’avoir un fils de 13 ans qui finira tragiquement. La mort rode partout dans cet univers de perdition. Pierre aussi est mort depuis toujours. Depuis que sa mère n’a pas su le protéger des griffes du professeur de piano. Écrit à l’imparfait, le récit se lit au présent car le thème, aussi sordide, dérangeant et révoltant soit-il, renvoie à l’histoire d’une perversion qui renvoie à celle d’une complicité familiale et sociétale toujours d’actualité. Sous une plume fort maîtrisée, l’auteur dose parfaitement les métaphores de choc atténuées par le juste questionnement du protagoniste par rapport à sa dépravation, sans jamais tomber dans les clichés interprétatifs. Évidemment, derrière la voix de Pierre se cache celle du romancier. Comment Bernard Lavoie a-t-il pu se projeter d’une façon aussi crédible dans l’esprit tortueux d’un diable moderne à la logique parfois implacable? Il a tissé cette fiction à partir de témoignages de pédophiles, dans le cadre d’un reportage durant son métier de journaliste. Monstruosité littéraire! clameront certains. Du latin monstrare: "montrer, faire voir". Le malaise habite le lecteur, certes, mais on apprécie l’audace du romancier dont le rôle est aussi de montrer et de dénoncer les symptômes d’une société. Et la pédophilie en est un gros!

Bernard Lavoie
Vie et mort d’un pédophile
Éditions Trait d’union, Montréal, 2003, 220 p.

Vie et mort d'un pédophile
Vie et mort d’un pédophile
Bernard Lavoie