L’Inconscient du soleil : Perdre conscience
Less is more , comme on dit, faute d’équivalent français. JOSÉ ACQUELIN semble en avoir fait son mot d’ordre. Quant à la forme et quant au fond.
Non pas que ses poèmes soient maigrichons – certains courent sur plusieurs pages et ne fuient guère la fleur du style -, mais que l’essence l’attire davantage que les habits. Dans L’Inconscient du soleil, celui qui figure parmi les plus dynamiques animateurs de la scène littéraire montréalaise propose un cheminement très zen, aux antipodes des trajectoires célébrées par un Occident ivre de matériel et de fric.
On connaissait déjà les sensibilités orientales de l’auteur de L’Oiseau respirable (1995) et Là où finit la terre (1999), mais sans doute est-ce avec son dernier livre que José Acquelin s’approche le plus du Soleil levant. Une approche riche de feinte simplicité, parfois parente du haïku, mais pas non plus délestée des rumeurs occidentales. Pas déconnectée, autrement dit.
À cent lieues de la mystique bon marché, le poète suggère un certain état non pas d’inconscience comme on l’entend d’ordinaire, mais un état au-delà de la conscience. Un lieu où l’orgueil se tait, où "les lunettes imposées de la réalité" ne conditionnent plus le vrai. Acquelin ira jusqu’à évoquer une "dissolution" souhaitable, qui rend libre, ultimement, par l’acceptation de sa propre mort. Et partout le soleil, tantôt à l’horizon, tantôt à son zénith, qui purifie, avale ou éclipse; qui "enlève du sol".
En chemin, nous assistons aux surgissements de l’amour, ce "détachement ultime", ou de ses succédanés – Acquelin n’est pas dupe des petits et grands mensonges commis dans l’intimité de la pensée, quand on "fait passer le refus de ne pas être aimé avant l’irréfutable élan d’aimer". Il aborde d’ailleurs les séparations nécessaires, sensible à tout ce qui subsiste d’enseignement malgré ce qui vole en éclats. Il poursuit dans les mots une exploration du vide, des manques à combler, affirmant sous différentes formes que "le poème dit ce qu’on se refuse d’être".
La majeure partie du livre est faite de quatrains, qui entretiennent des liens logiques, mais qui, étonnamment, conservent une indépendance. On pourrait sans trop y perdre retirer une strophe, qui se suffirait, ou même jongler avec les segments sans risquer la cacophonie. Puis s’ouvre une section finale de courts textes en prose, la plus séduisante, où l’auteur paraît habiter un moment le corps espéré, libéré des obligations de la conscience.
On peut tiquer sur les jeux de mots, moins nombreux que dans ses premiers recueils, mais indissociables du langage d’Acquelin, force est d’admettre qu’ils n’ont rien de gratuit, toujours plus proches de la métaphore que du calembour. Quand le poète titre l’un de ses textes Missel Sol-Air, on pourrait s’attendre au pire… Puis non, c’est le meilleur qui advient.
Au-delà d’une impression d’inégalité, l’impression qu’à côté de pures trouvailles, certains textes achoppent à transcender l’agencement de mots, il y a dans L’Inconscient du soleil des vers qui méritent à eux seuls la traversée. Comme celui-ci, qui fait d’ailleurs une belle conclusion en résumant parfaitement l’esprit du recueil: "Je ne veux plus m’habiter/Je suis un oiseau qui a épuisé l’arbre d’être".
L’Inconscient du soleil
de José Acquelin
Éditions Les Herbes rouges
2003, 96 p.