Carnet américain : Méandres de la métropole
Au lendemain du 11 septembre 2001, des écrivains new-yorkais tels que Paul Auster et le jeune romancier Colum McCann avouent avoir été en panne d’inspiration créatrice. Comme si les mots restaient en suspens sur la tragédie. Là où les uns ont connu un blocage, la Québécoise Louise Cotnoir a trouvé la matière pour conclure son Carnet américain, qui regroupe ses écrits new-yorkais d’avant et après le tragique événement.
Surtout connue pour ses recueils de poésie, qui lui ont valu plusieurs prix, mais aussi pour La Déconvenue, un ouvrage en prose paru en 1993, l’auteure fait ici vagabonder l’esprit de ses personnages dans les méandres de la métropole tentaculaire. Elle ne s’étend pas sur son expérience à New York, où elle a occupé le Studio du Québec en 1995, mais tente de rendre sienne l’existence des immigrants ou descendants d’immigrants qui se racontent à la troisième personne du masculin. On se délecte des 13 nouvelles, parmi lesquelles on retient l’histoire de Job Tubman, un African American, "surtout pas de trait d’union au coeur de l’expression méprisante, chargée d’exil", qui retrace son vécu, la perte de sa femme et de sa fille, et qui est obnubilé par les deux tours qui s’ajoutent, à ses yeux, au défilé de la misère, aux "scènes de lynchage comme s’il y avait été, le cortège funèbre de Martin Luther King Jr., les cercueils de Stella et de Debbra". Celle de Kim Sun, pour qui la Chine "n’est qu’un arrière-plan, un pays mort", et pourtant, le jeune peintre du Chinatown qui adopte l’American way of life "rêve toujours… en chinois". Celle du Warrior, le "soldat de Dieu avec sa croix tatouée sur le coeur", qui incendie les maisons des ghettos ethniques "pour renouer avec l’odeur du napalm". Celle de Steve Amiro, jeune Jamaïcain qui, du haut de sa guérite de sauveteur, passe de la lecture d’un roman à celle du ciel virant au gris orageux, pendant qu’un petit garçon se débat dans l’eau pour finalement tourner la dernière page de son existence. Celle de Fabrice Pucci qui reproduit le restaurant que tenait son père à Florence et dans lequel "il se fond à la cohorte pour se sentir lié à cette communauté de spectres". Celle de Francis Akira, de son vrai nom Kaji, un Japonais qui aime New York parce que c’est une cité sur l’eau – "les îles n’ont-elles pas ce pouvoir de mettre en dérive?" – mais qui pense aussi au suicide de son père, qui "les a livrés à l’ennemi, sa mère et lui, les confinant au camp des réfugiés". Et Kaji de se transformer en statue de braise humaine…
Sous le métronome d’une écriture vivante et lisse, Louise Cotnoir parvient à fixer la fugacité des souvenirs de ces personnages vivant sous la chape de plomb de l’histoire, des origines et de la mémoire culturelle. Le récit n’est pas rythmé comme un poème, mais la vérité de parole dont témoignait l’oeuvre poétique de Cotnoir transparaît également dans Carnet américain. Les images découpées dans le vif du quotidien des protagonistes forment un bouquet de poésie qui exhale un parfum nostalgique mêlé au présent souvent tragique. On voyage au coeur des diverses communautés ethniques qui font de New York un lieu unique, incarnation par excellence du rêve américain. Mais la Big Apple tient-elle ses promesses de vie meilleure?
Carnet américain
De Louise Cotnoir
L’instant même, 2003, 101 p.