L’Absent : L’Empire contre-attaque
Mars 1814. Après l’humiliante retraite de Russie des troupes napoléoniennes, les alliés anglais, russes et prussiens envahissent la France. Tandis que l’empereur tente de rentrer dans sa capitale pour préparer la résistance, des comédiens se saoulent au Café des Variétés, boulevard Montmartre, observant les cosaques qui, sur la butte, massacrent les derniers artilleurs de la Garde. Au même moment, un singulier spectacle se déroule au palais des Tuileries: aidée de quelques laquais, l’impératrice Marie-Louise s’apprête à prendre la fuite, sauvant ce qu’elle peut du naufrage, empilant argenterie, tableaux et meubles précieux dans les voitures, y compris celle du fameux sacre de 1804 enveloppée pour un dernier défilé… Dix ans de gloire durant lesquels la France régnait sur l’Europe viennent de s’évanouir.
Avec L’Absent, Patrick Rambaud signe le troisième volet de ses chroniques de la fin de l’Empire, commencées avec La Bataille (prix Goncourt et Grand Prix du roman de l’Académie française 2000), suivie d’Il neigeait. On y voit la France accomplir une "révolution" au sens astronomique du terme, c’est-à-dire un retour au point de départ de son orbite: la monarchie. Profitant de l’absence de l’empereur, les légitimistes organisent en effet la rentrée de Louis XVIII avec l’appui de l’Angleterre et de Talleyrand. Retiré à Fontainebleau, Napoléon Ier abdique le 4 avril et on lui octroie la souveraineté de l’île d’Elbe, lieu d’un premier exil. Aidé par ses habitants, l’empereur fera de ce rocher (voisin de sa Corse natale) une sorte d’État modèle, développant son économie, ses villes, son agriculture. Il continue d’y être informé sur l’Europe, ne prédisant pas plus de six mois d’existence à la Restauration, espérant patiemment son retour, son rappel…
Plutôt que de nous offrir une énième biographie de Napoléon Bonaparte (dont nous sommes, Dieu merci, épargnés), Rambaud s’est proposé de traiter ce grand personnage davantage comme objet que comme sujet, l’accès à son intimité passant toujours par le regard des autres personnages. Le point de vue principal revient à son héros fictif, Octave Sénécal, ancien espion de l’empereur infiltré dans les milieux royalistes, accompagnant son maître en exil et apprenant à le connaître plus familièrement qu’au temps de sa toute-puissance. À Elbe, où il est suivi par une poignée de fidèles qui forment une cour peu brillante, Napoléon, centre de l’attention tant des républicains, des bonapartistes que des espions monarchistes, devient une sorte d’animal de foire auquel rendent visite de nombreux touristes, surtout anglais, qui "le regardent comme le dromadaire du Jardin des Plantes".
Loin d’imiter les traditionnels romans historiques grandiloquents (à la Robert Merle ou à la Maurice Druon), la chute du régime et l’invasion étrangère peintes par Patrick Rambaud sonnent au contraire le glas de l’influence française sur la scène mondiale. Les descriptions apocalyptiques de la débâcle impériale et celles des tractations en sous-main pour le rétablissement des Bourbons rappellent quant à elles les meilleures pages de Zola. On s’étonnera du changement d’allégeance si rapide des Français, et surtout de ces Parisiens aimant voir défiler cosaques et hussards dans leurs rues, les petits commerces s’enrichissant de leur présence. Le portrait peu romantique d’un empereur rondouillard et le simulacre de protocole régnant sur l’île d’Elbe, souvent comparé à la magnificence des cérémonies passées, ont également quelque chose de troublant… Une vague saveur de fin du monde.
L’Absent, de Patrick Rambaud
Éditions Grasset
2003, 354 pages