Entre-mondes : L'angle mort
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Entre-mondes : L’angle mort

"Des phrases, siffla-t-il avec mépris. Elle fait des phrases. Ah, il saurait bien lui faire passer cette envie!" Ces mots sont bien de Marie-Andrée Lamontagne, auteure d’Entre-mondes, qu’on connaît surtout comme ancienne rédactrice en chef du cahier Livres au quotidien Le Devoir. En poésie, elle a préfacé quelques anthologies et signé Prières, en 1996. Après son premier roman, Vert, publié chez Leméac en 1998, celle qui est également traductrice nous revient en prose avec un recueil de nouvelles.

L’intellectuelle prend, avec Entre-mondes, un autre visage. C’est avec abandon et audace qu’elle se glisse dans la peau de la créatrice. Elle prend des risques et s’aventure dans les structures exigeantes de la nouvelle, sans craindre de bousculer les cadres et les procédés narratifs. Pas qu’elle révolutionne le genre, mais un mouvement des formes est perceptible et on nous entraîne d’une manière singulière dans des histoires déséquilibrantes. Autant la nouvelle a évolué, autant l’auteure de Vert a pris de l’assurance.

Difficiles à résumer, ces histoires, comme celle dont est tirée la précédente citation qui parle d’un fanfaron qui, ivre, au retour d’une aventure sexuelle, doit défoncer la porte de chez lui pour entrer et se livrer au fantasme (ou à ce qu’il croit en être un) de sa femme. Celle où des marginaux sèment un brin de panique à un terrain de camping, ou la dernière, dans laquelle présent et pressentiment se confondent, où quelques femmes écrivent, sans se consulter et en se relayant, la suite du roman d’une auteure de best-seller peut-être morte…

Le ton de ces sept nouvelles est surtout impressionniste et suggestif; on se sent parfois l’invité, parfois le voyeur, et parfois même le confident des personnages, pour la plupart assez introvertis et riches de mystères. Imprévisibles, aussi. Surtout les personnages féminins, capables de discrétion, de maîtrise de soi, mais également d’audace. Il est fascinant de voir comment les acteurs de ces histoires, tous intelligents, connaissent bien l’espace qu’ils occupent dans les relations humaines, et comment certains étouffent, consciemment, dans les limites qu’ils se sont eux-mêmes imposées. Qu’ils soient aux prises avec la passion du jeu, avec l’alcool, la folie, la mort, avec des portes verrouillées, avec l’ambition ou avec des fantasmes tordus, tous arrivent à transgresser les règles et à présenter une partie de leur autre monde: celui, plus secret, que l’auteure dévoile, tout en atmosphères, d’une manière différente, d’une nouvelle à l’autre. Marie-Andrée Lamontagne nous convie à regarder l’angle mort, à pénétrer dans des états temporaires, des moments de crise, de dépassement et d’expérimentation.

Entre-mondes sait lire entre les gens comme entre les lignes et "détourne le réel" pour nous faire part de ce qui tient de l’invisible, du caché, du secret et du rêve: "Toutes ces vies dérisoires pouvaient bien réclamer le droit de s’agiter, l’étang demeurait virginal, ses promesses intactes, ses eaux calmes."

Entre-mondes, de Marie-Andrée Lamontagne
Éditions Leméac
2003, 126 pages

Entre-mondes
Entre-mondes
Marie-Andrée Lamontagne