La Blasphème : P’tite vlimeuse
Juste un peu avant l’été, Anick Fortin, 20 ans, publiait La Blasphème aux Éditions Trois-Pistoles, récit décapant qui met en scène le genre de petite fille avec qui les parents ne souhaitent pas que leur enfant traîne. On l’appelle la Blasphème, un peu comme on dit la p’tite maudite vlimeuse. Dès l’amorce, on sent que l’on est en présence d’un personnage rebelle, tourmenté, qui trouve le salut dans la narration d’une histoire hallucinée: la sienne. Quand la Blasphème est née, une sorcière s’est penchée sur son berceau, sa mère. De son pêcheur de père on sait peu de choses, sinon qu’il "s’en est allé rejoindre ses crevettes au fond de la mer" après une chicane conjugale, alors qu’elle n’était encore qu’une enfant.
Pour bien comprendre à qui l’on a affaire, imaginons le personnage joué par Charlotte Laurier dans Les Bons Débarras – film de Francis Mankiewicz scénarisé par Réjean Ducharme. Ou encore une sorte de petite cousine des personnages de Marie-Sissi Labrèche, auteure de Borderline et de La Brèche, qui partage avec eux un sentiment fort d’exclusion doublé de l’impression vitale d’avoir été abandonnée du monde, une certaine propension à dire "ma folle de mère", et avec raison, plus un regard frondeur mais fragilisé posé sur sa propre existence.
La vie de la Blasphème n’est pas un conte de fées. À l’aube de la majorité, elle vous envoie son récit comme une claque en arrière de la tête. Un jour, son monde déjà plutôt brinquebalant a basculé. Petite Poucette trash, la Blasphème s’en allait retrouver sa mère atteinte d’un mal incurable en suçant des cailloux sur le chemin de l’hôpital. Puis: "J’ai plongé la main dans le sac de ma mère. J’ai senti quelque chose de froid. De lourd. De dangereux. De mortel. Prends ce revolver et viens près de moi, j’ai un peu de misère à parler fort. (…) Appuie-le, là, sur ma tête. (…) Maintenant, tire!" Et comme une fillette de huit ans, elle obéit alors à sa mère en murmurant "Ange maman!", un ruisseau de sang sur les mains. Le psychiatre déclara son cerveau "perte totale" et on lui offrit une nouvelle maman pour qu’elle puisse toucher ses chèques.
Il est toujours réjouissant de voir émerger une nouvelle voix d’auteur, surtout lorsqu’elle détonne. La première oeuvre d’Anick Fortin n’est pas sans failles, situées davantage sur le plan de la trame romanesque que du côté de l’écriture. Par exemple, au début, c’est la perte de ses clefs qui sert à la Blasphème de prétexte à raconter son histoire, mais avait-elle vraiment besoin d’un prétexte pour la balancer au visage du lecteur? Sans compter qu’elle abandonne ce dernier sur une finale houleuse. La temporalité n’est pas totalement maîtrisée et la structure de l’oeuvre aurait gagné à être mieux huilée, pour en rendre le déroulement fluide.
La force, chez cette jeune auteure, est dans l’expressivité, toute rentrée dans le mot, elle pointe l’urgence de dire comme si, sans le recours à la parole, tout allait exploser. "Les choses qui m’arrivent sont à la limite où je n’en mourrai pas." Elle dit vrai, la Blasphème.
La Blasphème, d’Anick Fortin
Éditions Trois-Pistoles
2003, 120 p.