Pascale : L’amour après la mort
Pascale
est le premier roman de Françoise de Luca et c’est toute une histoire. D’exil pour commencer, puisque la transhumance est bien le signifiant-clé de cette aventure. Le père de Françoise, la narratrice, est Italien et est monté en Lorraine française, où les noms des villes et villages évoquent le Luxembourg voisin par leur désinence angélique (ange/ingen: Hagondange, Mondelange). Il a travaillé dans des usines sidérurgiques aujourd’hui désaffectées faute d’être rentables, avec des ouvriers français, aussi prolétaires que lui. Au-delà des quolibets xénophobes, une grande amitié, un étrange amour, se sont noués entre deux jeunes filles de 11 ans qui partagent cette difficulté de survivre.
Histoire d’amour ensuite parce que Françoise, l’Italienne, et Pascale, la Française, vont s’aimer de la secrète fêlure que la sexuation introduit dans la pureté des amitiés de jeunesse. Jamais pourtant elles ne se trahiront, fut-ce au détour de leurs amours hétérosexuelles parfois partagées. La vie les séparera parce que cela se doit, comme toute petite fille se doit de se séparer de sa mère, enfin de ce type de jouissance qu’on dit féminine et extatique! Qu’elles poursuivirent jusqu’à l’âge adulte avant de se perdre de vue… Françoise à l’université puis en Polynésie. Pascale dans ses maternités, ses divorces, son petit magasin de confection, toujours lorrains.
Et voilà que 10 années plus tard, revenue au pays, à Strasbourg, Françoise, devenue journaliste, décroche un jour son téléphone pour répondre à l’appel de Pascale, renouant le fil interrompu. Tout un passé refoulé rejaillit pour aussitôt se pétrifier trois mois plus tard dans la mort de Pascale.
Un cancer implacable s’est étendu après avoir gagné la région sidérurgique et les amours difficiles de la petite Française restée au pays.
Françoise s’exilera de nouveau, chez nous au Québec, pour y entreprendre et terminer son travail de deuil par la rédaction de ce livre autobiographique. "Ma blessure était bien fermée. S’il m’arrivait de penser à toi, c’était sans douleur, c’était juste une page blanche, plus rien ne s’y écrirait. Les années qui viendraient seraient vierges de toi", et plus loin: "Elles ne le furent pas. Elles portent toutes la marque de ta perte."
Cette marque n’a cessé de vouloir s’écrire. Il a fallu la mort de Pascale pour que cela cesse de ne pas s’écrire. Comme une relation épistolaire amoureuse, le travail de deuil a exigé sa pitance lettrée, démarche amoureuse à rebours, en quelque sorte.
Premier ouvrage d’une lettrée qui à certains moments s’adresse à son amie dans une intimité à la Duras, longue mélopée parfois fatigante. S’y dit la scène finale de la mort et des restes humains… de l’amour aussi. "Ma dernière image de toi, la première. Dans la cour de la maison de tes parents, tu t’avances vers la grille. Tu t’avances avec ton visage de quinze ans, serein, et ton corps si familier. Cette image chaude, d’une intensité presque douloureuse, dans la cour de la maison de tes parents, tu t’avances vers la grille. Tu viens m’ouvrir"… Tu viens mourir aussi! Comme si le deuil, tel un rêve, pouvait modeler le futur par un indestructible souhait forgé dans une image passée, celle des 11 ans.
Pascale, de Françoise de Luca
Éditions Varia
2003, 176 p.