Windows on the World : Fenêtre sur tours
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Windows on the World : Fenêtre sur tours

Chassé des plateaux de télévision, le plus VIP des auteurs parisiens persiste et crache encore dans la soupe avec Windows on the World. Mais en même temps qu’il agace et remue plus ou moins dans le vide, comme il l’avait déjà fait avec 99 Francs, celui que les Français appellent simplement BEIGBÉ signe ici son roman le plus touchant, le plus cruellement humain.

Une semaine après avoir déposé le plus récent ouvrage de l’écrivain branchouille Frédéric Beigbeder, on regrette que le temps ne soit parvenu à fixer une impression qui soit juste, calibrée et sentie.

Demeure une sorte de ballottement, une sensation d’amour/haine qu’inspirent les différentes approches, l’alternance entre d’insupportables lieux communs et de lumineux moments de lucidité qui jalonnent ces quelque 374 pages où l’auteur expose un triple effondrement.

Celui des tours du World Trade Center (WTC), celui de l’auteur médiatiquement surexposé qui voit son étoile pâlir et, enfin, celui des utopies postmodernes.

Un vaste programme qui s’échafaude (!) en forme de roman à plusieurs voix, dont deux qui dominent. Celle de Carthew Yorston, personnage imaginaire d’un agent immobilier complètement désabusé qui, le matin du 11 septembre 2001, emmène ses deux jeunes fils petit-déjeuner au Windows on the World, le restaurant au 107e étage de la tour nord du WTC. Et celle de l’auteur, Frédéric Beigbeder, d’abord au sommet de la tour Montparnasse, à Paris, ensuite à bord du Concorde, puis dans les rues d’un New York post-attentats où il trimballe son spleen ostentatoire.

"Dans deux heures je serai mort, mais peut-être suis-je déjà mort?" pressent le personnage de Yorston dès sa première apparition, ouvrant les vannes à une longue suite d’aphorismes à moitié creux que l’ex-publicitaire ne peut s’empêcher de balancer, comme par déformation professionnelle. Des affirmations-slogans ("tout le monde jalouse tout le monde depuis que l’Art est devenu narcissique") qui constellent le roman, dénonçant l’antiaméricanisme primaire des Français ou la vacuité de l’existence dans un monde où les sentiments dévalent le versant du capitalisme sauvage. Autant de coups qui portent, mais dont l’impact ne se fait pas toujours ressentir.

À l’inverse, l’auteur cynique de L’amour dure trois ans, Vacances dans le coma, Nouvelles sous ecstasy et 99 Francs fait ici preuve d’une tendresse qu’on n’attendait plus de sa part. Abordant le thème de la paternité avec justesse, exposant, même dans certaines scènes surréalistes du désastre, des tableaux d’une humanité désarmante, Beigbé parvient à émouvoir, à toucher le lecteur là où ça fait mal.

Bousculé entre la fiction, les épanchements autobiographiques, les données extraites de guides touristiques, l’usage abusif d’insupportables anglicismes anglo-hexagonaux et les observations socialo-politico-économiques, on adhère pour ensuite se rebiffer, on oscille, on interroge parfois ses propres conceptions devant ce constat d’impuissance que Kundera appellerait "le piège qu’est devenu le monde".

Et le temps, s’il n’efface pas l’ambiguïté des sentiments ressentis, permet de voir dans cette incertitude une sorte d’épiphanie. Comme si l’impression de déséquilibre que laisse ce livre était plus importante que la somme de ses parties.

Échantillon d’humanité, Windows on the World est donc inégal, à la fois touchant et froidement narcissique, intelligent et con, parfois brillant et novateur alors qu’autrement, il s’empêtre dans les lieux communs. Il s’agit d’un superbe travail d’imagination, cruel comme la réalité, qui, d’une main froide mais invitante, nous guide vers nulle part.

Windows on the World
de Frédéric Beigbeder

Éditions Grasset

2003, 374 pages