Les Amants de l’Alfama : Quand on n’a que la mort
Dans l’un des romans les plus attendus de cette rentrée, SERGIO KOKIS mêle avec un doigté fou réalité amoureuse et fiction voyageuse.
Sergio Kokis
, écrivain québécois d’origine brésilienne, est un auteur prolifique. Depuis 1994, sept romans à son actif, dont le premier, Le Pavillon des miroirs, lui a valu plusieurs prix. Dans Les Amants de l’Alfama, un grand fantasme semble prendre réalité. Réalité de fiction bien entendu! Car l’auteur comme les protagonistes aimeraient tant qu’on les croie…
Le décor géographique planté par touches répétées, le Bruxelles de Brel et le Lisbonne du fado, se double d’une atmosphère morbide. Nous sommes le 1er novembre, c’est la fête des Morts. Comme chaque année, une étrange réunion macabre célèbre ce jour où chacun se souvient des disparus qui ont hanté son existence. Cette assemblée "nécrofestive" se réunit dans un restaurant où Joaquim (Jacques…!) échoue en compagnie d’une amie de rencontre. Ce grand Jacques vient de perdre sa Mathilde (comme je vous le dis). Vous devinez déjà la suite… Chacun parle de la Camarde évidemment, et cherche à donner corps à cette femme qu’elle est censée représenter. La gueuse! C’est une histoire d’hommes peuplée de femmes.
Qu’ont donc perdu ces mâles adolescents devenus vieux qui célèbrent leurs masturbations mentales de moult rots et pets breugheliens? Comme si en ce jour, quelque excès rendait la vérité à ce dont ils chargent la mort elle-même. Kokis connaît bien les trucs du métier et il faut avouer qu’on doit attendre le récit du vieux Martim pour se laisser happer par cette fiction en miroirs. De ruse en ruse, le vieux militant communiste, anti-Salazar, condamné, déporté, devenu marin, soutient la trame d’une histoire d’amour kaléidoscopique où Joaquim peut lire sa vie comme l’histoire de tout un chacun. De Martim aussi, on l’apprendra: la vieille Tilda, mi-prostituée, mi-fidèle, fut son seul amour contrarié. Il repartira avec elle, boitant, estropié de la vie. Breughelien encore!
Ici, la fiction littéraire en appelle à elle-même, s’intégrant dans la vérité du récit, oubliant qu’elle est une histoire déjà narrée, tout juste vraisemblable. Brel, Bosch, Breughel, Ovide, Tacite, Camões… série mathématique avec une logique implacable qui doit plaire à Joaquim, jeune agrégé de math. Qu’a donc à cacher notre écrivain derrière ses emprunts à la nécessaire fiction? Serait-ce la difficulté d’aimer une vraie femme? Ou bien cherche-t-il, comme Joaquim, la raison de poser l’acte contrecarrant les Parques, qui emmêlent à dessein les fils noués de notre destin amoureux? "Les vraies histoires d’amour sont toujours mensongères, car l’amour ne se présente jamais au pluriel. On aime une seule fois et pour toujours. Les autres femmes qu’on rencontre sont toujours la répétition pâlie de ce premier et unique amour."
Comment alors sortir de cette lâcheté morale dans laquelle l’amoureux forcément déçu se vautre mélancoliquement? Sergio Kokis ne donne pas la réponse, mais pose la question d’éclatante manière.
Les Amants de l’Alfama, de Sergio Kokis
XYZ éditeur, coll. "Romanichels"
2003, 236 p.