Les Bonheurs de Sophie : Bonheur d’occasion
Épicurienne devant l’Éternel, SOPHIE DUROCHER nous souffle, avec la passion qu’on lui connaît et un style qu’on lui connaissait moins, sa mélodie du bonheur à elle.
Paraît-il qu’écolière, Sophie Durocher écrivait en pattes de mouche, faisant dire à l’une de ses délicates professeures qu’elle n’arriverait jamais à rien dans la vie. Eh bien, ses petites pattes de mouche se sont transformées en petits pas de danse ("aux orteils retroussés") sur le clavier, nous donnant à lire aujourd’hui un livre sans prétention qui respire le bonheur et le plaisir. Les Bonheurs de Sophie est composé de textes précédemment publiés dans Le Devoir ou Châtelaine et de quelques inédits.
Un des beaux côtés de ce livre? L’animatrice télé connaît la chance qu’elle a de pouvoir s’arrêter comme ça, devant les choses qui font de la vie, parfois, un bonbon que l’on déguste. Elle se rappelle avoir traversé de plus creuses périodes; elle sait avoir souvent travaillé pour renouer avec les plaisirs simples, pour la créer sa chance, évitant de basculer dans la mièvrerie, demeurant toujours en état de lucidité. "Je ne tiens jamais rien pour acquis, le bien comme le mal, et je sais toujours, en me réveillant le matin, que ce nouveau jour est peut-être le dernier."
Sophie interpelle ("Qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir?") comme elle remercie (la vie, sa mère, la famille, les amis) et pose un regard généreux sur la simplicité qui nous entoure. Le chapitre "je me souviens", qui traite de la mémoire, est celui qui m’a le plus touché. Elle nous rappelle la maladie qui attaqua le cinéaste Claude Jutra ("L’horreur. L’Alzheimer, c’est le pire des viols. Ne pas se souvenir des bons moments. Être perdu pour soi-même.") et qui continue de frapper plein de gens, mais surtout, elle évoque avec justesse le puissant euphorisant qu’est la nostalgie. Plutôt que de critiquer, Sophie se soumet volontiers aux charmes de la nostalgie en feuilletant des albums photos ("on dirait que plus l’instantané pâlit, plus les images se bousculent en nos souvenirs") ou en fredonnant des chansons qui nous retournent et retournent à un temps où tout semble plus beau que jamais. "Dans le rétroviseur, les lauriers sont toujours plus roses, les cours d’école nous apparaissent plus grandes, les hommes plus beaux et plus gentils. Le temps efface les rancoeurs, la mauvaise haleine et les méchancetés du quotidien."
Si elle fait parfois d’inquiets constats ("La vie, c’est peut-être ça: rien que du temps qui passe entre deux larmes versées. Comme une respiration."), généralement, elle fait le "zoom" comme une tendre pause sur la beauté qui traîne. Du bouquet de fleurs aux joutes de poésie, des grands cahiers (où elle note ses bonheurs à la manière de Sei Shônagon) au voisinage des enfants, des ex à Saint-Ex, des petits riens aux dessous chics, Sophie nous ramène Jane Birkin, Nino Ferrer et Jean-Pierre Ferland, passant en survol, parfois à bord d’un petit avion qui signe le ciel, par Borduas, Riopelle ou Ferron. Les mots ou les oeuvres des autres sont là, comme autant de bonheurs: libre à nous de les saisir.
Les Bonheurs de Sophie, de Sophie Durocher
Éditions Stanké
2003, 138 p.