Antéchrista : Pécher par excès
Pour une 12e année consécutive, la plus ponctuelle des auteures françaises lançait un roman pile poil pour la rentrée. Un envoi qui n’exauce qu’à demi les prières…
Il y a trois réalités automnales incontournables: le mercure pique du nez, les feuilles virent au rouge et le nouveau roman d’Amélie Nothomb atterrit sur la table "coups de coeur" des libraires. Difficile, chaque fois, de fermer les yeux sur le ridicule de l’affaire: lancer un livre à la même date année après année, comme un constructeur automobile dévoilant son nouveau modèle dans un show-room astiqué… Disons qu’on est loin de cette idée que les livres significatifs sont des livres nécessaires, motivés par tout sauf les calendriers éditoriaux. Mais un Nothomb reste un Nothomb, c’est-à-dire un livre à tout le moins divertissant, qu’il vaut la peine d’ouvrir. Cette année, ce sera donc Antéchrista.
Dans ce mouvement habituel chez elle qui part de tout petit pour mener vers plus grand, la prolifique romancière nous glisse dans la peau de Blanche, une ado bourrée de complexes. Laissée-pour-compte, rasant les murs, Blanche traîne son ingrate carcasse comme on porterait une croix. Le jour où Christa, la star de la fac, une vamp en herbe qui polarise les regards de tous les garçons, daigne s’intéresser à ce presque fantôme, Blanche n’y croit d’abord pas, flairant le subterfuge. Puis elle se laisse tenter par cette relation qui pourrait donner un peu de consistance à sa vie. "J’avais toujours été seule, ce qui ne m’eût pas déplu si cela avait été un choix. Ce ne l’avait jamais été. Je rêvais d’être intégrée, ne fût-ce que pour m’offrir le luxe de me désintégrer ensuite. Je rêvais surtout de devenir l’amie de Christa. Avoir une amie me semblait incroyable."
Et l’incroyable advient. Plus incroyable encore, les parents de Blanche s’entichent de Christa au point de lui proposer de loger chez eux durant la semaine, elle qui habite à deux heure de train de l’université. Pour Blanche, ça ressemble à une autoroute pour l’intégration. Sauf que.
Sauf que Christa l’impeccable au fond a quelques défauts. Celui de reléguer ceux qui l’entourent au rôle de faire-valoir n’est pas le moindre, et notre pâle héroïne comprend vite que l’amour voué à Christa ne peut être qu’à sens unique. Tout comme l’antéchrist, cette dernière semble ne séduire que pour mieux détruire, et elle a vite fait de ruiner le peu de complicité qu’il y avait entre Blanche et ses vieux. Intérieurement, Blanche va rebaptiser l’intruse Antéchrista…
Antéchrista est un Nothomb moyen, c’est-à-dire un roman bien au-dessus de la moyenne. Le ton est vif, une phrase coup-de-poing n’attend pas l’autre, l’intelligence des dialogues est aiguë, mais force est de constater que la sprinteuse du roman français a quelque peu échappé le projet en cours de route. Malgré les qualités habituellement présentes, dont cette habileté à traduire les perceptions des personnages amplifiées ou atténuées par la lunette déformante de leurs angoisses, on a du mal à trouver crédibles certains d’entre eux, les parents de Blanche surtout, qui portent littéralement Christa aux nues pour aussitôt la désavouer, quand le masque de la perfection s’effrite; on a surtout du mal à ne pas décrocher quand l’histoire verse dans un fantastique poreux plutôt que d’aller au bout de réalités bien humaines, celles qui toujours dépassent la fiction. Les prémisses laissaient espérer davantage, et les dernières pages se recourbent un peu en une queue de poisson.
Aurait-il donc fallu remettre l’ouvrage sur le métier? Mais la question ne se pose pas: il ne fallait tout de même pas arriver en retard à la rentrée…
Antéchrista, d’Amélie Nothomb
Éditions Albin Michel
2003, 160 p.