L'Été de la compassion : Blessures de guerre
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L’Été de la compassion : Blessures de guerre

Si on connaît bien le parcours politique d’Andrée Ferretti (militante indépendantiste du Québec et vice-présidente du défunt RIN), son travail d’écrivaine, lui, nous est moins familier. Son premier roman, L’Été de la compassion, est pourtant son troisième ouvrage de fiction depuis 1987.

À bien des égards, ce roman rappelle celui de William Styron, Le Choix de Sophie, qui débutait dans le New York de 1947. Bien sûr, Ferretti n’a pas la prétention d’égaler la stylistique de Styron, qui mettait des décennies à concocter ses romans, mais elle glisse habilement de lourds faits historiques au milieu d’une simple (?) histoire entre deux jeunes protagonistes (12 et 22 ans) qui s’apprivoisent, l’espace d’un été. Comme dans le célèbre roman américain, c’est à travers les échanges entre les deux jeunes, vivant une histoire d’amour plus ou moins à sens unique, qu’on arrive à plonger dans ces récits de l’intolérable et de l’atrocité prenant source de l’autre côté de l’Atlantique. Nous sommes à Saint-Vallier-de-Bellechasse à l’été de 1948, et c’est ici, avec une certaine distance et une certaine liberté, que la réflexion de David (le plus vieux des deux) sur sa condition de Juif, d’opprimé et d’exilé arrive à se verbaliser et à mesurer l’ampleur des dégâts sur tout son être et sur sa relation avec les autres, Juifs et non-Juifs.

"Béatrice avait à ce moment eu le sentiment que cela calmait David de penser que tout ce qu’il avait subi était inscrit dans l’histoire millénaire de son peuple." C’est par l’écoute et la compassion, donc, que l’adolescente tente d’apaiser l’écrasante réalité de David. Ce dernier, fils de musicien (premier violon d’un orchestre important) et peintre abstrait, a beaucoup de mal avec la confiance, avec la culpabilité, avec les idées sombres et le passé qui se bousculent en lui. "Je vous le répète, Béatrice, car je vois que vous ne comprenez pas bien. Je suis à jamais prisonnier d’un monstre qui est en moi, qui est moi." On reconnaît bien, derrière l’auteure, la personnalité publique qui sait ce qu’est l’engagement, et combien certains principes peuvent coûter cher. Le roman porte une réflexion profonde sur les notions de collectivité et d’identité. Avec délicatesse et à-propos, sans comparaison grossière des blessures, la romancière avance certaines idées à propos de la situation des "Canadiens français": "Ne doivent-ils pas se faire plus anglais qu’un Anglais pour compter dans le monde des affaires? Ne doivent-ils pas se débrouiller en anglais pour obtenir le plus humble emploi?" On comprendra qu’il est impossible de demander à Ferretti de ne pas utiliser la subversion comme une des règles de la construction romanesque!

Si, parfois, l’écriture chargée adopte un style plutôt emphatique ("…auteure involontaire et ennuyée de trois enfants…"), l’ensemble est fait avec soin et aborde de manière bien sentie, avec humanisme, les plaies ouvertes laissées par la folie meurtrière de l’Allemagne nazie.

L’Été de la compassion, d’Andrée Ferretti
Vlb éditeur
2003, 159 p.

L'Été de la compassion
L’Été de la compassion
Andrée Ferretti