Cendrillon, mon amour : L'art du faux
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Cendrillon, mon amour : L’art du faux

C’est l’automne. Il pleuvasse, on met le chauffage, on s’enfarge dans les feuilles qui tombent, on a les jointures gelées en vélo. Il y a quatre choses que j’aime faire en automne: mettre des gros chandails de laine, croquer dans une pomme parfaite, afficher une petite moue mélancolique et lire des romans policiers, si possible quand un orage sévit. Alors on laisse la fenêtre entrouverte pour entendre la pluie qui déboule, acharnée, et on s’embarque pour une virée au pays des voyous.

C’est dans cet esprit que j’ai traversé Cendrillon, mon amour, de l’Américain Lawrence Block. Parue en 1958 sous pseudonyme, l’oeuvre a bien vieilli. Faut dire que l’auteur est un maître du genre et il en a écrit, des policiers; une cinquantaine, pour tout dire. Je ne suis pas une fan des romans à enquête, des fictions en forme de problèmes mathématiques. Je me fais avoir à tout coup et suis plutôt avide d’ambiances et de personnages bien campés. Ces deux ingrédients sont ici réunis. Antihéros charismatique, Ted Lindsay a ce petit côté mal léché des journalistes blasés, attelés aux faits divers, qui carburent au Jack Daniel’s. Un jour, sur le point de tomber en catatonie, il va consulter un médecin qui lui donne tout un conseil: "Vendez votre maison, donnez votre démission, allez vous installer ailleurs. Choisissez un emploi qui ne représente rien pour vous. (…) Partez dans une grande ville et n’hésitez pas à vous perdre."

Alors notre homme se trouve un boulot de serveur dans une gargote sordide de New York, le New York des baises à 8 h du matin après un shift de nuit, cerné jusqu’aux dents, à grand renfort de scotchs pour oublier le soleil. Il finit par se demander où cette cure le mène, quand il fait la rencontre de Cinderella Sims, superbe canaille, teint de pêche, seins comme des pommes en automne, talons aiguilles pour assommer les filous qui la poursuivent. C’est que la demoiselle erre dans la ville avec 50 000 faux dollars dans un cartable. Pour les beaux yeux de Cindy et la moitié du butin, Ted Lindsay glisse tranquillement vers le crime.

Un seul regret. Il nous avait habitués à une connivence toute particulière. Il s’adressait au lecteur comme on jase avec un ami après le troisième pichet. Il avait de l’humour et de la légèreté, pas de sujets tabous, un ton de camaraderie qui nous le rendait sympathique. À la demie du roman, cette relation privilégiée avec le narrateur s’estompe au profit de l’action. Le roman se met à osciller entre des scènes survoltées, tendues, qui mettent le couple criminel en péril, et des épisodes où Bonnie and Clyde se retrouvent et se laissent aller au meilleur remède qui soit contre la tension et l’angoisse. Scènes salées. Ballet sexuel. Et on balance comme ça entre la concupiscence et les meurtres.

Des motels miteux du Nevada qui sentent le vieux cendrier, une petite pépée qui pleure en jouissant, un homme désorienté qui fait le mal nécessaire pour plus tard faire le bien, des cadavres dans la garde-robe et une question finale qui résiste: Peut-on "se construire une vie honorable en partant du mal et du péché"?

Il est minuit. Rentre, Cendrillon.

Cendrillon, mon amour, de Lawrence Block
Éditions du Seuil
2003, 170 p.

Cendrillon, mon amour
Cendrillon, mon amour
Lawrence Block