Le Dégoût : Amère patrie
Horacio Castellanos Moya est né au Honduras mais a vécu une grande partie de sa vie au Salvador. Son activité journalistique et politique l’a contraint plusieurs fois à s’exiler au Costa Rica, au Canada et au Mexique. Auteur de romans, d’essais et de poèmes, il signe Le Dégoût en 1997. Une oeuvre haineuse et assassine envers la société salvadorienne contemporaine. Pas étonnant qu’il ait reçu des menaces de mort!
Vega, le narrateur, revient au Salvador après 18 ans d’absence, pour les funérailles de sa mère. Dans une brasserie, il retrouve un ami de lycée, dont on ne connaît que le nom, Moya. L’auteur affûte sa prose par des flèches qu’il décoche dès la première gorgée de bière: "Le pire c’est qu’ils sont capables de te tuer si tu refuses de dire que cette émanation putride, leur crasseuse et diarrhéique bière est la meilleure du monde." L’oeuvre s’élabore sous le signe du dégoût que lui inspire la réalité salvadorienne sous toutes ses coutures: les frères maristes chez qui il a étudié, le capitalisme sauvage du pays, les médecins corrompus, les enfants, "des morveux qui n’ont rien d’autre sous le crâne que des séries de télévision", son frère, "un imbécile grand format", sa belle-soeur, les artistes, les restos, les fruits de mer, les bordels, le football national, l’université "dont la bibliothèque ne renferme que des manuels soviétiques". Sa logorrhée vomitive et caricaturale se fait plus virulente quand il crache sur les anciens guérilleros convertis en politiciens arrivistes, cyniques, vivant dans l’arrière-cour des États-Unis et friands de l’American way of life: "(…) les voilà maintenant qui se comportent comme les plus voraces des rats dont l’unique désir a toujours été de s’emparer de l’État pour se goinfrer".
Dans un long monologue, Vega rumine sa douleur et son désespoir, course qui le conduit à rendre le présent plus physique, sorte de corps à corps avec une écriture hargneuse. Ce présent est-il plus vrai pour autant? Peut-on voir, dans cette réalité salvadorienne aux bords coupants, une analyse socio-historique du pays? Le doute plane.
L’auteur avoue s’être inspiré de l’écrivain Thomas Bernhard, qui a toujours jeté l’anathème sur la société autrichienne. Castellanos dit avoir écrit un roman. Ah oui? Pamphlet ou discours serait plus approprié. Il pioche et tranche tellement que chapitres et paragraphes sont massacrés à la tronçonneuse par cette écriture compulsive qui emporte tout sur son passage. L’auteur décharge sa frustration dans ce récit, laquelle se traduit par la répétition et la réitération plaintive. Il ressasse et rabâche les mêmes thèmes dans un vocabulaire peu inventif, voire pauvre. Horacio Castellanos Moya le dit dans une entrevue: "La littérature surgit plus de la tragédie et de la frustration que du bonheur." On est loin de Samuel Beckett, pour qui la vision la plus noire de la vie se mue en une forme d’allégresse, à condition que le style, le ton et l’écriture excluent jérémiades et autres danses macabres. Cette écriture au service de la catharsis ne détonne pas à côté de celle de Bernhard. Elle sent plutôt le réchauffé. Mais bon, en ce début d’automne, du dégoût et des couleurs, on ne discute pas.
Le Dégoût, d’Horacio Castellanos Moya
Éditions Les Allusifs
2003, 100 p.