Le Sourire des animaux : Triangle vicieux
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Le Sourire des animaux : Triangle vicieux

Ils sont trois: le tentateur, la victime et le narrateur. Mais dans ce deuxième roman de Grégory Lemay, il y a un autre trio: l’écriture, l’histoire et le lecteur. Pour éviter que le dernier descende du lit, il faut que les autres le stimulent!

Après Moi non plus, publié aux Éditions Point de Fuite en 2000, l’auteur poursuit, avec Le Sourire des animaux, cette veine d’influence américaine du "pourquoi pas", de "l’après tout", qui mènent de jeunes errants dans les méandres de l’intimiste. Sexe et coeur. De Valleyfield à Édimbourg, en passant par Amsterdam, Barcelone, New York ou Montréal, l’histoire est simple: il ne se passe à peu près rien. Dans la mesure où l’on considère que les multiples aventures sexuelles, même de nature orgiaque, et que les doutes et redoutes du bal de l’amour ne sont rien. Mais il y a l’amitié, la fascination pour les extravagances, pour l’arrogance, et cette manière de repousser les limites du tolérable, de tester la solidité des liens de l’amour. Et ça, ce n’est pas rien. Plutôt intéressant même; observer ainsi les préoccupations intimes et intenses d’un narrateur qui feint l’indifférence et d’une autre, victime, par le corps et l’esprit, de cette manière d’être. Comme le roman est morcelé, fragmenté, le rythme demeure bon malgré la minceur de l’histoire. Et voilà l’écriture qui arrive à nous faire oublier certaines lacunes. Elle est fraîche, forte et inventive.

"Dehors, le jour jappe, bouffée d’air, extraordinaire vie, tout cet espace, Montréal, poêlon, je mijote, pense à So. Mes pensées me mèneront à elle comme le fil d’Ariane. Je, romantique, la prendrai dans mes bras, la porterai jusqu’au lit." Poétique à souhait, l’écriture prend ici des risques intelligents. Par la forme, elle rappelle parfois celle d’Hubert Aquin. Par sa puissance d’évocation, elle fait voyager et découvrir plus d’images que les personnages ne semblent en retenir de leurs nombreux pèlerinages. L’écriture est nerveuse, toujours dans l’urgence, et elle rapporte les va-et-vient du coeur du narrateur sur un ton mi-fataliste, mi-je-m’en-foutiste. Et ça, sans basculer dans le cynisme et la prétention. Faut le faire! Très stimulante, donc, la lecture de ce style assez singulier et rigoureux. Il y a là un véritable écrivain doublé d’un véritable jeune, ce qui, jumelé, est moins fréquent dans nos librairies qu’on pourrait le croire.

Alors, si vous êtes un lecteur plus sensible à l’écriture qu’au sujet, qu’à ce qu’on raconte, ce roman est susceptible de vous plaire. Si vous préférez les grandes histoires, vous vous sentirez exclu. Pour ma part, si j’ai été indéniablement sous le charme de l’écriture, j’aurais préféré que l’on m’entraîne plus loin, qu’on descende plus profondément, paradoxalement, dans le sujet qui veut demeurer à la surface. Je pense à Bret Easton Ellis qui, lorsqu’il ne va pas jouer du côté de la folie meurtrière, arrive à nous saisir en jouant dans la blessure du superficiel et de l’indifférence, tout en restant, apparemment, à la surface.

Le Sourire des animaux
de Grégory Lemay
Éditions Triptyque
2003, 110 p.

Le Sourire des animaux
Le Sourire des animaux
Grégory Lemay