Vieillir : La vérité si je mens
Vieillir
est le titre du roman-vérité de Mario Cyr. En fait, c’est mourir qui le tracasse. Pas mourir de mort lente et bête, mais disparaître de l’économie libidinale des vivants. La mort, c’est le trou, le vide, le non-sens. Or, il est bordé, ce trou, pour Max comme pour tout un chacun, d’histoires singulières, de rencontres inopinées, de heurts et de malheurs. Max est un diminutif mais le personnage ne l’est point, tant il se démesure et remesure à sa sexualité, à sa queue, et, de là, à toute son histoire.
Max est homosexuel. À cent lieues de la grande folle, c’est sans tambour ni paillettes qu’il nous raconte sa vie et sa douleur d’exister. Il se sert de la mort, de la sienne, qu’il anticipe sous les traits de son oncle Rosaire, homosexuel lui aussi, pour interroger ce qui tracasse chaque homme: la sexualité. La sienne est ce qu’elle est: un grand amour perdu, Bjorn, et des rencontres de passage qui jamais n’effaceront le souvenir devenu extatique de ce beau blond mythique.
Au gré de la vie et des morts, Max héberge Rosaire, son oncle, qui devient son miroir: "Ce vieux monsieur homosexuel, solitaire, c’est une boule de cristal me dévoilant l’avenir, moi dans trente ans." À l’autre bout de la chaîne, il y a Sébas, le fils de sa soeur qui se meurt d’un cancer au cerveau. Oncle, neveu, soeur, ami, etc.: Max n’est pas le fruit d’une génération spontanée. Il a les parents classiques du fils qui assume une orientation sexuelle différente. Pâle et effacé, sans couilles, le père a toujours un temps de retard pour ce que sa mère en a d’avance et de trop… Tout est tellement psychanalytiquement vrai et cohérent qu’on dirait une vignette clinique.
On ne peut décidément pas reprocher à quelqu’un de faire vrai et pourtant… C’est qu’il y a aujourd’hui tellement d’écrivains qui disent leur vie amoureuse désirante que c’en est lassant. Tous ces "coming out again" (homo ou hétéro) manquent un peu d’imagination littéraire. L’acte d’écrire n’est pas celui de raconter, il y va d’une opération différente. C’est ce qu’on ne ressent pas toujours dans ce récit chatoyant et touchant, il faut le dire.
Mais pourquoi donc Mario Cyr écrit-il? Pour nous dire son périple? Celui de Max, l’ancien drogué qui vieillit mal dans son homosexualité ("Et j’ai eu peur de terminer ma vie comme elle avait commencé, stoned")? Et quelle est cette peur soudaine, cette angoisse diffuse? Serait-ce celle de ne plus pouvoir se ressourcer au flux du désir sexuel pour créer, pour transmettre ces signifiants que l’écrivain nous livre dans son acte créateur? Serait-ce pour dire à quel point ce père "arnaqueur" et cette mère incapable de "retenir un homme" le poussent aujourd’hui à une désespérance que trahit seulement le souci magnifique de l’écriture dans les mains de son père spirituel, je veux dire le vrai père de Max, celui qui écrit comme un homme, cuisine, pour son fils qui le regarde? "Un homme qui cuisine, ça me fascine, m’épate, j’y trouve, ne riez pas, quelque chose de sacramentel, que je ne perçois pas quand c’est une femme qui fait la popote. Il n’y a rien de sexiste dans mon propos, pas intentionnellement, en tout cas, je dis ce que je sens […], j’éprouve en voyant Rosaire s’affairer entre le four et le frigo, ou le comptoir, une curiosité mêlée de respect, avec l’impression en prime, de recevoir un précieux enseignement, censément équivalent en intensité à celui que j’aurais tiré s’il m’avait été donné, enfant, d’assister aux ablutions de mon père, mais il n’était pas là."
Rosaire, alias Mario Cyr l’écrivain qui essaie d’écrire comme on cuisine, qui procrée par son style, la Chose qui sourd au long de son récit et qui n’a rien à voir avec la mort ni avec le fait de vieillir. À vous de l’affronter maintenant.
Vieillir
de Mario Cyr
Éd. Les Intouchables
2003, 395 p.