Le Petit Copain : L'été de mes 12 ans
Livres

Le Petit Copain : L’été de mes 12 ans

Dix ans après la parution du Maître des illusions, DONNA TARTT réapparaît avec Le Petit Copain, publié chez Plon, un roman dense plus gris que noir, déjà écoulé à 750 000 exemplaires et couronné du prix W. H. Smith.

Le Maître des illusions

avait connu un succès fracassant, inattendu, propulsant l’universitaire inconnue au rang d’incontournable. Best-seller mondial, ce roman avait ravi autant le professeur de littérature que le beau-frère informaticien. Depuis, un mythe s’est construit autour de Donna Tartt, et des attentes. Mais la ténébreuse lettrée s’est offert le luxe de la lenteur: 10 années à plancher sur une deuxième oeuvre. L’écrivaine a pris son temps et personne ne l’a oubliée. Avec Le Petit Copain, elle livre une seconde brique qui n’est peut-être pas le chef-d’oeuvre escompté.

Le Maître des illusions se déroulait dans l’univers cloîtré et masculin de quelques universitaires aux activités obscures. Si le meurtre et ses suites agissent encore comme pivot de l’histoire, Donna Tartt a changé les décors et les perspectives. Nous voilà dans une petite ville du Mississippi, au coeur des années 70, main dans la main avec Harriett, un personnage précoce, doué, curieux et obstiné à l’allure d’un "petit pirate chinois" de 12 ans. Son ami Hely ne sait pas lui dire non. Vaguement amoureux, épris de sa fougue et surtout très dévoué, voire soumis, il l’accompagne sans rien lui refuser: "Il l’avait vue sauter du haut des toits, attaquer des gosses qui avaient le double de sa taille, se débattre à coups de pied et de dents contre les infirmières pendant les séances de vaccins."

Quand Harriett n’était qu’un poupon, son frère Robin fut retrouvé pendu à un arbre dans la cour, jetant sur la famille animée une ombre, un silence lourd, une gravité qui ne s’est jamais résorbée. Mais on peut reconstituer la silhouette d’un dinosaure à partir de l’os de sa patte et, dans une quête de savoir, d’aventure et de justice, Harriett met ses intérêts archéologiques au service d’une enquête privée sur la mort de son frère, un projet risqué et ambitieux qui la fera basculer dans le monde trouble et opaque des adultes.

Le Petit Copain s’ouvre comme un roman noir. Le mot "suspense" apparaît en quatrième de couverture, il est question d’un meurtre et de l’identité voilée du malfaiteur. On vous le sert comme un polar et cela brouille les pistes. Car Donna Tartt transcende l’étiquette, fait craquer ce genre très codé. Autant le dire tout de suite, on ne découvrira pas l’identité de l’assassin et on fait fausse route si on lit le roman dans cette optique.

Dans un rythme dilaté, Tartt se donne le droit aux digressions, à l’introspection, trouve son plaisir dans le détail toujours juste et ne boude pas les descriptions, d’une précision chirurgicale. Il faut voir comment elle compare la vieille Oldsmobile à un lamantin ou comment elle décrit les odeurs, celle de la nounou par exemple, qui fleure "les clous de girofle, le thé, la fumée du feu de bois et un parfum aigre-doux et duveteux". Elle se laisse emporter sans jamais se presser ou s’obliger à revenir à l’intrigue. D’où l’impatience du lecteur qui attend sa dose et ne la recevra pas.

Petite déception également du côté de la traduction. A-t-on vraiment besoin de traduire The Price is Right par Le prix est juste quand on se borne à employer "dope" au lieu de "drogue" et qu’on vous balance inévitablement ce cliché d’entre tous les clichés: "Un frisson lui parcourut l’échine"? Malheureusement, ces détails finissent par désincarner la façon qu’a l’auteure d’investir la langue.

On quitte peut-être le roman mi-figue, mi-raisin, donc, mais un fait demeure: ses personnages sont magnifiquement campés, du plus effacé au plus central. Il y a la mère bourrée de pilules, les grands-tantes élégantes et bornées, quatre rednecks et leur grand-mère manipulatrice cariée par le cancer des os mais apparemment invincible. Sans oublier le petit copain.

Le Petit Copain
De Donna Tartt
Éd. Plon
2003, 608 p.

Le Petit Copain
Le Petit Copain
Donna Tartt