Anne-Marie Pons : Mourir d’aimer
Deux spécialistes de la psyché humaine conjuguant leurs savoirs dans la rédaction d’un roman noir, voilà de quoi redorer un genre souvent limité par l’imprécision de ses rouages psychologiques. La psychanalyste Anne-Marie Pons et le psychologue Gilles Michel Ouimet, qui avaient déjà cosigné Thérapie mortelle en 1999, proposent avec Jalousie une plongée vertigineuse dans ces zones où l’amour flirte avec la mort. Crédibilité de l’intrigue 100 % garantie.
Ce "drame en quatre actes", dont les prémisses trouvent écho en quiconque a déjà aimé, voit la désirable et très bourgeoise Cécile Chevrier menacer de tuer son mari Marc Lacroix, convaincue de ses escapades avec une autre. Où s’arrête le fantasme? Où commence le danger réel? C’est au psychiatre Charles Martin, l’ami d’un ami du couple, que revient le rôle d’y voir clair. Le moteur du roman: la jalousie, celle qui ligote la raison, qui pousse à l’irréparable. "Il y a une jalousie dite "normale", explique Anne-Marie Pons, la jalousie que nous avons tous connue un jour ou l’autre. Il est normal de vouloir être le préféré de notre conjoint, de vouloir qu’il nous aime plus que tout. Puis il y a une jalousie pathologique, plus rare, qui pousse le malade à voir partout des preuves de l’infidélité de l’autre. Dans des cas extrêmes, cette jalousie-là peut pousser à la violence." Chez Cécile, jalousie rime avec paranoïa, et elle voit le moindre coup d’oeil de son mari vers une autre femme comme un affront personnel, comme une trahison de la vie à son endroit.
L’intérêt, ici, c’est que malgré l’apparente exagération de la punition projetée, on y croit volontiers. Guérin profite d’ailleurs de cette parution pour inaugurer sa nouvelle collection "Psy noire", qui se veut d’une infaillible crédibilité. "Je dois dire que je suis souvent déçue en lisant un thriller ou devant un film, poursuit la thérapeute montréalaise. À tout bout de champ, je dis: "Ah non, ce n’est pas vraisemblable, ça!" C’est certainement un atout pour nous d’avoir en bagage de vraies études comportementales." Les troubles de la psyché issus de la réalité ne font d’ailleurs pas de moins bons matériaux que les pathologies fictives, loin de là. "Nous en avons vu de toutes les couleurs, ça c’est sûr! La réalité est décidément bien pire que ce que l’on peut imaginer…"
À en croire les principaux intéressés, il n’y a rien d’étonnant à voir des psys passer de la grille d’analyse à la plume. "J’ai toujours aimé l’écriture, souligne Anne-Marie Pons. Avant de devenir psychanalyste, j’ai d’ailleurs fait des études en linguistique. Et puis dans notre métier, nous sommes toujours dans le langage. Une thérapie, c’est avant tout l’histoire d’une personne racontée à une autre personne."
Dans Jalousie, le psy a visage humain, et le personnage de Charles, spécialiste célébré, connaît lui aussi le doute, la peur de poser le mauvais diagnostic. "Nous tenions à montrer les faiblesses de Charles, confie l’auteure. Le psy n’a jamais qu’une petite longueur d’avance sur son patient. Il a des réponses à certaines choses, mais il ne les a pas toutes."
Qu’on se rassure, Jalousie n’a rien de la thèse déguisée, et si les auteurs détaillent la folie meurtrière avec une compétence rarement rencontrée dans le registre du thriller, ce n’est jamais que pour appuyer l’action d’un roman haletant, qui entraîne son lecteur dans les recoins les plus noirs et les plus inattendus de la conscience.
Jalousie
de Gilles Michel Ouimet et Anne-Marie Pons
Guérin éditeur
2003, 544 p.