Charles Berberian : Objet du désir
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Charles Berberian : Objet du désir

Duo incontournable de la bédé française, Philippe Dupuy et Charles Berberian nous font l’honneur d’une visite au Salon du livre, au moment même où paraît un nouvel épisode de Monsieur Jean. Dans Inventaire avant travaux, Jean abandonne son logement à Félix pour s’installer en ménage avec Cathy dans un nouvel appartement où, tout en haut d’une étagère, repose une caisse, vestige de l’ancien locataire décédé. Cette caisse, que Cathy aimerait bien voir disparaître, Jean ne peut se résoudre à la jeter. "Il sent qu’il y a quelque chose d’impalpable, explique Charles Berberian, quelque chose qui se transmet, et cette chose le travaille. Nous voulions développer tout au long du livre cette notion de relais, de transmission, avec les objets qu’on jette ou qu’on se transmet de génération en génération, jusqu’à ce lit jeté à la rue par Félix et que s’approprie un clochard."

Le tournant que vit Jean, qui frise maintenant la quarantaine, et l’apparition de personnages d’enfants dans la série ne sont pas étrangers à ces nouvelles réflexions: "C’est aussi l’idée de ce qu’il faut transmettre à nos enfants quand on les élève dans ce monde, ces traditions qu’on a ou qu’on n’a pas. Le personnage du petit Eugène se pose des questions sur la mort, mais il ne reçoit pas les réponses toutes faites qu’on avait il y a une trentaine d’années quand on était élevé dans une ambiance religieuse. Cette notion de transmission se présente donc à la fois sur le plan purement pragmatique, celui de la transmission des objets, mais aussi de la transmission des idées."

En chair et en papier
L’évolution des personnages est une des grandes originalités de la série. "Avec Monsieur Jean, on a essayé de contourner cet idéal qui fait que certains héros de bande dessinée ne vieillissent pas et ne peuvent avoir de relations sexuelles, comme Tintin qui est emblématique d’une certaine recherche de pureté chez Hergé. Dans les années 70, des auteurs comme Brétecher et Robert Crumb nous ont montré que les héros pouvaient avoir de la chair, de la consistance, et on retrouve le même parallèle dans le cinéma des années 70." Berberian mentionne entre autres l’influence du cinéma de Truffaut à partir des 400 Coups: "À la manière d’Antoine Doinel, dont on suit les péripéties d’époque en époque, Monsieur Jean s’inscrit dans le même principe de faire vieillir un personnage. Nous sommes des enfants de cette culture des années 60 et 70. Notre personnage est en papier, mais il est fait de chair."

Le personnage est également de plus en plus conscient du monde extérieur, comme en témoignent le motif des clochards dans Inventaire avant travaux, la scène d’une manif et celle d’une pétition qui circule dans un magasin. Autant de situations qui mettent en suspens le récit, autrefois centré sur le héros: "Quand on a commencé à raconter son histoire, Jean était une espèce d’adolescent attardé qui vivait confiné dans sa bande de copains, dans son petit monde à lui. Nous vivions une époque, les années 90, plus insouciante qu’actuellement, mais c’est aussi l’âge qui fait qu’on s’intéresse davantage aux autres. Une bonne manière d’évoluer, c’est de s’intéresser plus aux autres, en observant davantage, en étant plus attentif à ce qui se passe autour de soi. Le fait que Philippe et moi vieillissons de cette façon donne ce nouveau ton aux livres, où une vision extérieure vient de plus en plus s’imbriquer au monde intérieur." Une ouverture sur le monde, qui donne à ce personnage de papier les aspects du vivant…

Inventaire avant travaux – Monsieur Jean, tome 6
De Charles Berberian et Philippe Dupuy
Éd. Dupuis
2003, 56 p.